On décortique la «règle des 5 secondes»

C’est un fait : des trucs pour aider les gens  à trouver le sommeil, il en circule abondamment sur internet! D’ailleurs, il arrive très souvent qu’un proche m’envoie un article où l’on parle d’une nouvelle technique pour contrer l’insomnie. Même si, au premier abord, plusieurs de ces stratégies me font sourciller, je me fais toujours un devoir de les aborder sous un angle le plus neutre possible. Un petit tour sur les bases de données et hop, me voilà prête à nuancer, déconstruire et questionner ces stratégies grâce à une réflexion plus riche.

Dans les derniers jours, c’est plutôt une stratégie pour favoriser la levée du corps qui a été portée à mon attention. Original! me suis-je dit. C’est vrai qu’on oublie souvent l’autre bout de la nuit, celui où l’on sort du sommeil et où l’on doit rapidement se mobiliser pour attaquer les tâches de la journée! Les difficultés au lever font bel et bien parti du portrait clinique de plusieurs de mes patients.

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Les « 5 secondes » à la rescousse des snoozeurs en série!

Cette astuce était présentée par une influenceuse ou une coach en développement personnel. Difficile de savoir avec précision quel était son titre puisque celui-ci n’était pas mentionné sur son profil (déjà là, ça me chatouillait).

Cette demoiselle présentait la «règle des 5 secondes» comme une solution aux difficultés  à sortir du lit le matin. En résumé, selon cette stratégie, nous n’aurions que 5 secondes pour nous lever, sans quoi notre cerveau produirait des pensées qui nous limitent. Elle conseillait donc de compter 5 secondes et de se lever sans attendre.

D’une simplicité désarmante, cette stratégie paraissait intéressante au premier coup d’œil. Surtout que l’auteure américaine à la base de la théorie promet que cette stratégie peut changer toute une vie. Parce que non seulement elle s’applique au lever, mais elle rejoint tous les domaines du quotidien, peut-on lire sur sa page.

Simple et révolutionnaire. Comment voulez-vous ne pas être tenté d’en savoir plus? Pourtant, si on s’amuse à la regarder de plus près, plusieurs problèmes émergent de cette fameuse règle.

Bien-sûr, je ne m’attarderai pas aux autres domaines auxquels cette technique pourrait s’appliquer. Je me concentrerai de jeter un regard critique sur son application à l’éveil, comme il s’agit de mon domaine d’intérêt et d’expertise.

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Première question : pourquoi 5 secondes? Pourquoi pas 4, 30, 46? Je me suis d’abord demandé si des tests avaient été menés en ce sens. Je me suis dit que des études devaient sûrement avoir été dirigées dans le but de soutenir la logique derrière ce chiffre. J’imaginais trouver des études où on comparait un groupe à qui ont demandait de se lever après 5 secondes à un groupe à qui on ne donnait pas de consigne précise. Nop. Je n’ai pourtant rien trouvé de tel dans mes recherches.

Puis je me suis dit que des questionnaires devaient avoir été administrés à des participants pour mesurer l’appréciation subjective du début de leur journée selon qu’ils aient appliqué ou non la technique. Nop. Encore ici, rien n’est ressorti dans mes recherches.

Alors pourquoi 5 secondes? Quand on y pense, 5 secondes, ce n’est vraiment pas long! Dans le genre difficile à appliquer et à maintenir au quotidien, on ne pourrait pas faire mieux! Cet objectif me semblait être l’équivalent de demander à une personne qui n’est pas en bonne condition physique de courir 10 km dès le lendemain.

C’est exactement le genre de chose qui me fait réagir dans ce type de technique : ça semble souvent très intéressant au premier abord, mais ça passe difficilement le test de la faisabilité. Surtout chez des gens qui souffrent d’une difficulté spécifique qui est justement ciblée par la technique en question.

L’inertie du sommeil

Encore dans un esprit de questionnement de la faisabilité, je me suis demandé si cette astuce correspondait bien à ce qu’on connait de cette phase entourant le sommeil. Nous sommes forcés d’admettre que peu d’études se sont intéressées à la transition entre le sommeil et l’éveil. Par contre, nous savons très bien qu’un phénomène particulier se produit chez tout le monde à ce moment précis : l’inertie du sommeil.

Qu’est-ce que l’inertie du sommeil? Il s’agit d’un état transitoire caractérisé par de la somnolence, de la confusion, de la désorientation et des performances cognitives altérées (Hilditch and McHill 2019). Vous savez ce moment où vous n’êtes pas certains d’être bien éveillé et où l’appel du café se fait sentir? Ce moment où même si nous avons obtenu les fameux 8h de sommeil, nous ne sommes pas complètement attentifs et vigilants. Bien, l’inertie du sommeil est le terme scientifique pour décrire ce sentiment que nous vivons tous à différents niveaux et qu’un certain  Kleitman a proposé en 1939.

Cet état transitoire durerait entre 5 min et 4h, même si la plupart des gens verraient un retour à la normal en moyenne 20 minutes après l’éveil.

Si vous avez suivi, c’est donc dire que la règle des 5 secondes va à l’encontre d’un phénomène physiologique lié au passage de l’état de sommeil à celui de l’éveil. La commande d’aller à l’encontre de la nature même du corps est donc plutôt audacieuse!

Qui plus est, la durée et l’intensité de la phase d’inertie du sommeil dépendrait de plusieurs facteurs :

– le stade de sommeil où on a été réveillé

– la durée de sommeil qu’on a eue

– le manque de sommeil des dernières nuits

Vous n’aviez jamais entendu parler de l’inertie du sommeil? Pas étonnant. Cet état n’est pas problématique puisque le lever en douceur que l’humain tend naturellement à s’accorder vient contrecarrer ses effets.

L’un des domaines où l’inertie du sommeil intéresse particulièrement les chercheurs et cliniciens est le travail de nuit. En effet, les travailleurs de nuit font souvent des siestes sur les quarts de travail. Après leur sieste, ils doivent rapidement se mobiliser pour reprendre les tâches. Le phénomène d’inertie du sommeil devient donc important à considérer pour éviter qu’un travailleur se réveille, se blesse ou crée une conséquence négative sur les autres parce qu’il n’est pas suffisamment alerte.

Adaptatif ou non

La coach à l’origine de la règle des 5 secondes avance l’idée que le fait de se lever 5 secondes suivant l’éveil empêcherait le cerveau d’entrer en mode « repérage de menaces ». Selon elle, au-delà des 5 secondes, le cerveau glisserait vers une analyse des inconforts et dangers potentiels au fait de se lever (ex. Il va faire trop froid. J’ai les lunchs à faire. Je n’ai pas envie de parler de la COVID avec mon collègue Rodrigue en rentrant au bureau.) ce qui nuirait au processus d’éveil. L’idée est donc d’éviter au cerveau de plonger dans le négatif et d’en souffrir.

Comme j’aime questionner les choses, je ne peux m’empêcher de me dire que le fait de se dépêcher à se lever en vitesse grand V en 5 secondes a également un grand potentiel d’envoyer un message de menace au cerveau! Celui-ci a d’ailleurs la lourde tâche de sortir le corps de l’état de sommeil, pourquoi en ajouter en se propulsant hors du lit? Entre les deux, je me demande ce qui est le plus susceptible d’instaurer un climat d’anxiété.

Ceci va d’ailleurs dans le sens d’une théorie avancée par certains auteurs qui croient qu’un éveil graduel et qui respecte le rythme du corps est souhaitable pour aider le cerveau à activer des circuits neuronaux d’éveil, qui sont complètement différents de ceux du sommeil (Vyazovskiy, Cui, Rodriguez, Funk, Cirelli & Tononi, 2014).

La personnalité de dormeur

Un autre aspect important concerne le fait que la règle des 5 secondes ne tient pas compte de la personnalité de dormeur. En effet, le chronotype est le terme exact pour décrire une tendance naturelle à être plus facilement éveillé le matin (chronotype matinal) ou en soirée (chronotype tardif). Ainsi, les gens au chronotype tardif risquent de trouver particulièrement difficile d’adhérer à la technique des 5 secondes considérant que, déjà à la base, chaque matin est un défi. En effet, les gens au chronotype tardif ont beaucoup de difficulté à se lever à des heures standards. S’ils écoutaient leur tendance naturelle, ils se lèveraient et seraient fonctionnels à partir de 10h le matin.

C’est d’autant plus important de prendre en compte cet aspect comme les gens au chronotype tardif sont plus susceptibles d’être attirés par une stratégie comme celle des 5 secondes. Après tout, ils ont de la difficulté et on leur promet de solutionner un problème qu’ils ont depuis plusieurs années avec une règle fort simple! Toutefois, on oublie de leur expliquer que cette règle sera particulièrement difficile à mettre en place considérant l’un de leur trait biologiquement déterminé.

Conclusion

Est-ce que la règle du 5 secondes tient compte de tous les aspects mentionnés précédemment et qui ont été largement documentés au niveau du sommeil et de l’éveil? Malheureusement non. Bien que je puisse concevoir que cette astuce convienne à un certain nombre de personne, la prudence demeure de mise.

En clinique, il n’est pas rare que j’entende les gens dire qu’ils ont essayé ce genre de stratégie et qu’ils se sont sentis plutôt désemparés. « C’est si simple! Le fait que je n’y arrive pas doit signifier que j’ai vraiment un gros problème! ». Et voilà exactement pourquoi je suis si critique face à ces outils. Parfois, ils alimentent la détresse plutôt que d’apporter un apaisement de la souffrance.

Voilà pourquoi il peut être judicieux de s’entourer de professionnels ayant des qualifications reconnues (titre et appartenance à un ordre professionnel et expérience dans le domaine en question) pour déterminer quelles stratégies sont souhaitables selon la conceptualisation des difficultés.

Je vous invite donc à développer votre sens critique face à ces formules «one size fits all» présentées par des gens qui n’apportent pas suffisamment de nuances dans la façon de les appliquer.

Bon sommeil,

Dre Emmanuelle Bastille-Denis Ph.D. psychologue

Dre Emmanuelle Bastille-Denis Ph.D. psychologue

Bibliographie

Vyazovskiy VV, Cui N, Rodriguez AV, Funk C, Cirelli C, & Tononi G (2014). The dynamics of cortical neuronal activity in the first minutes after spontaneous awakening in rats and mice. Sleep; 37(8):1337-47.

Hilditch, C. J. & McHill, A. W. (2019). Sleep inertia: current insights.

Kleitman N. (1939). Sleep and Wakefulness. Chicago: University of Chicago Press

Kryger,M., Roth, T., & Dement, W. (2017). Principles and practice of sleep medicine, sixth edition, Elsevier.

Thorpy, M.J., & Billiard, M. (2011). Sleepiness. Causes, consequences and treatment, Cambridge Medicine.