Les conduites nocturnes qui sortent de l’ordinaire

Ils déambulent dans la nuit, le regard vide et l’air absent. À l’approche de l’Halloween, on pourrait croire que je parle des zombies mais il n’en est rien! J’admets tout de même avoir été inspirée par cette fête pour rédiger cet article. Je voulais vous parler de quatre types de comportements exécutés pendant le sommeil qui suscitent tantôt des rires des proches, tantôt une inquiétude profonde. Je veux vous parler de ce qui distingue le somnambulisme, les terreurs nocturnes, les cauchemars et du trouble du comportement en sommeil paradoxal.

woman-3870727_1920

crédit image: ariadne-a-mazed

Le somnambulisme

Le somnambulisme se caractérise par des épisodes répétés où la personne fait des gestes machinaux. Les épisodes peuvent survenir à n’importe quel stade du sommeil à ondes lentes. Typiquement, les épisodes surviennent dans les trois premières heures de la nuit. Pendant l’épisode, la personne  a un visage sans expression et figé. Elle est relativement peu réceptive aux efforts de communication de son environnement. Lorsque réveillée, la personne ressent une brève période de confusion et de désorientation suivie d’un retour complet et relativement rapide à ses fonctions cognitives normales. Le lendemain, la personne n’a peu ou pas de souvenir de l’épisode.

Les épisodes durent quelques minutes et peuvent aller jusqu’à 30 minutes.

Le somnambulisme est présent chez 1 à 7% des adultes. Les épisodes récurrents et occasionnant de la détresse sont présents chez  0.5% -0.7% de la population adulte.

Chez les enfants, on estime que 2-3% présente des épisodes récurrents qui posent problème. Néanmoins, les épisodes de somnambulisme font partie de la vie nocturne d’une grande proportion d’enfant (10%-30%).

Les causes du trouble sont encore méconnues.

Le somnambulisme touche davantage les hommes que les femmes.

Les terreurs nocturnes

La présentation d’un épisode de terreur nocturne est légèrement plus impressionnante que celle du somnambulisme. En effet, l’épisode débute souvent par un cri de frayeur. La personne peut s’asseoir dans le lit, l’air paniquée et crier. Elle peut avoir des verbalisations incohérentes mais intenses et pleurer de manière incontrôlée. Les symptômes d’activation physiologique suivant peuvent accompagner cet épisode : dilatation des pupilles, battement cardiaque rapide (le rythme cardiaque peut doubler ou tripler pendant un épisode), respiration saccadée, transpiration. La personne ne répond pas aux efforts des autres pour la sortir de cette impasse ou la consoler. Tout comme dans le cas de somnambulisme, l’épisode survient généralement dans le premier tiers de la nuit, donc dans le sommeil à ondes lentes.

L’épisode dure de 1 à 10 minutes.

Lorsque la personne est réveillée par un proche, elle arrive difficilement à se souvenir d’un rêve qui aurait pu l’amener à avoir peur. Si elle n’est pas réveillée, la personne se recouche et retrouve le sommeil normal. Au matin, il est fort probable qu’elle ne se souvienne pas de l’épisode.

La prévalence du trouble dans la population adulte est estimée à 2,2%.

Les causes du trouble sont encore méconnues. On observe souvent que la personne a eu de tels épisodes à l’enfance et que d’autres membres de la famille peuvent avoir vécu des difficultés semblables également.

moon-4245432_1920

Crédit photo: Adrian Lang

Les cauchemars

Historiquement, on croyait que les cauchemars signifiaient que les démons et mauvais esprits rendaient visite aux gens via l’activité onirique.  Le DSM (la bible des psychologues!) définit le cauchemar comme étant un rêve effrayant qui sort la personne de son sommeil. Une fois éveillée, la personne se rappelle le rêve et vit certaines émotions négatives. L’intensité des émotions vécues pendant le rêve et suite à l’éveil est ce qui différencie les cauchemars des «mauvais rêves». Certains auteurs diront également que la frayeur n’est pas un pré-requis pour que l’on accole l’étiquette de «cauchemar». En effet, des émotions telles que la tristesse, la confusion, l’anxiété et le dégoût peuvent être à l’avant-plan dans le rêve en autant que le critère d’intensité de l’émotion est rencontré. Comme la plupart des gens vivent l’expérience de cauchemars, il faut que ce genre de rêve soit présent 1 nuit et plus par semaine pour que l’on statue sur l’aspect problématique.

Les cauchemars sont plus présents chez les femmes et tendent à diminuer avec l’avancement en âge.

Les cauchemars sont souvent associés à une tendance anxieuse ou un stress vécu dans la vie diurne. La génétique, le fait d’avoir vécu un événement traumatique et la prise de médicaments peuvent également causer des cauchemars.

Les cauchemars surviennent dans la phase de sommeil paradoxal. Ce stade de sommeil est particulièrement présent dans la deuxième moitié de la nuit. Ainsi, les épisodes de cauchemars sont moins susceptibles de survenir en début de nuit.

Le trouble du comportement en sommeil paradoxal

Il s’agit d’un trouble qui survient dans la phase de sommeil paradoxale tout comme le cauchemar. Cette phase est normalement caractérisée par une activité cérébrale intense (notre cerveau fonctionne de façon semblable à lorsque nous sommes en éveil) qui produit les rêves. Comme nous rêvons, notre système commande une paralysie temporaire que l’on nomme atonie posturale. De cette façon, le cerveau s’assure de ne pas mettre en action les images qui surviennent (les rêves). Dans le cas du trouble du comportement pendant le sommeil paradoxal, cette paralysie ne se fait pas. Si bien que la personne se met à bouger en fonction du rêve. Ces rêves sont souvent à connotation négative ou anxieuse (fuite, impression d’être poursuivi, d’être en danger). Typiquement, la personne va se mettre à parler, à rire, à crier, à faire des gestes, à attraper des objets, à allonger les bras, à donner des coups, à s’asseoir dans son lit ou se lever du lit.

Le trouble se présente plus fréquemment chez les hommes âgés de 50 ans et plus.

Alors que les manifestations du trouble sont impressionnantes, les gens qui présentent ce trouble sont très souvent décrits comme des personnes douces et effacées. Lorsque ces gens se voient administré une échelle pour mesurer leur degré d’agressivité dans la vie de tous les jours, ces gens ont souvent des scores moins élevés que la moyenne.

La prévalence du trouble dans la population générale est de 0,5%.

Les manifestations de ce trouble sont à prendre au sérieux puisqu’une proportion de 33 à 65% des gens souffrant de ce trouble ont rapporté s’être causé des blessures ou en avoir infligé à leur partenaire de lit. Les blessures courantes incluent des ecchymoses et des lacérations.

La cause est inconnue dans 60% des cas. Toutefois, chez certains, ces comportements surviennent suite à la prise d’un médicament ou constituent un signe précurseur d’une maladie neurodégénérative.

Le trouble peut également se présenter dans des cas de prise d’alcool ou de drogues/médicaments se fait de manière excessive ou prolongée.

Stratégies

La première intervention consiste à sécuriser l’environnement de sommeil et améliorer l’hygiène de sommeil

  • Retirer les objets potentiellement dangereux de la chambre.
  • Mettre des oreillers entre les partenaires de lit.
  • Mettre un matelas au sol dans le cas de chutes ou opter pour une base de lit peu élevée en hauteur.
  • Dormir dans un sleeping bag.
  • Mettre un tapis détecteur de mouvements (si la personne se lève et que ça devient dangereux pour sa sécurité).
  • Installer une serrure sur la porte.
  • Éviter la consommation d’alcool en fin d’après-midi et soirée (surtout pour le trouble du comportement en sommeil paradoxal puisque l’alcool agit sur les rêves en fin de nuit et est nocive pour le sommeil en général).
  • Gérer les éléments anxiogènes dans votre vie de manière à diminuer les stresseurs.
  • Diminuer la consommation de café (à éviter à partir de 15h).
Dormir à deux : un défi?

D’abord, j’encourage toujours les gens qui souffrent d’une telle problématique à informer leur partenaire de chambre qu’ils ont cette particularité. Comme on sait que le stress augmente la probabilité que ces épisodes surviennent, la communication, la transparence et l’ouverture d’esprit face à ce type de comportement seront de précieux alliés pour les dédramatiser. Même si certains s’amusent de voir leur conjoint/e passer à deux doigts d’uriner dans le coin de la chambre à coucher, certaines manifestations de ces troubles sont particulièrement impressionnantes pour une personne qui en serait témoin.

Réaction à prioriser si vous êtes témoin d’un tel épisode

Le partenaire de chambre doit d’abord se rappeler que ces épisodes ne sont pas dangereux à la base. Le principal danger réside dans le fait que certaines personnes peuvent se lever pendant les crises et se blesser avec des objets présents dans la chambre.

Lors d’un épisode, le partenaire de chambre doit simplement veiller à ce que la personne ne se blesse pas avec des objets. Le partenaire doit bien-sûr veiller à sa propre protection advenant que certains gestes soient dirigés vers lui. Il doit garder son calme et attendre que l’épisode passe. Si la personne en crise quitte le lit, le partenaire de chambre peut doucement réorienter la personne vers son lit. Il n’est pas souhaitable de tenter de réveiller la personne. Contrairement à la croyance populaire, il n’est pas dangereux de le faire mais cela plongera la personne dans un état de confusion qui pourrait en lui-même être plus long à gérer. Il faut simplement être présent pour elle et laisser la crise s’estomper.

En espérant que ce texte vous aura permis d’en apprendre davantage sur les différentes conduites nocturnes qui sortent de l’ordinaire, je vous souhaite un bon sommeil!

Dre Emmanuelle Bastille-Denis

Dre Emmanuelle Bastille-Denis Ph.D. psychologue

Dre Emmanuelle Bastille-Denis Ph.D. psychologue

 

Bibliographie

Sleep-wake disorders. DSM-5. Selections. American Psychiatric Association.

Fleetman, J.A., &  Fleming, J.A.E. (2014), Parasomnias, Canadian Medical Association Journal, 186 (8).

Tinuper, P., Bisulli, F., & Provini, F. (2012), The parasomnias: mechanism and treatment, Epilepsia, 53 (suppl. 7): 12-19.

Thorpy, M. J. & Plazzi, G. (2010). The parasomnias and other sleep-related movement disorders, Cambridge, University press

Le sommeil et vous. Mieux dormir, mieux vivre. Diane B. Boivin

Dormir. Le sommeil raconté. Apprivoiser son sommeil pour être en meilleure santé. Pierre Mayer.