Quand les troubles du sommeil s’invitent au tribunal

Comme entrée en matière, voici un cas réel qui a été largement médiatisé au Canada.

Le crime se produisit dans la nuit du 23 mai 1987. Kenneth James Parks, celui que ses proches surnommaient le «gentil géant», s’endormit sur le sofa. Puis, il se leva, chaussa ses souliers et mit un manteau. Parks n’enfila aucun sous-vêtements ni chaussettes. Il prit sa voiture et conduisit une vingtaine de km sur une autoroute jusqu’à la maison d’été de ses beaux-parents. Il entra, prit un objet tranchant et, selon toute vraisemblance, tua sa belle-mère. Récit tiré de : Glancy, Bradford, & Fedak, (2002).

Cette affaire donna lieu à un procès où différents experts furent sollicités pour évaluer le cas de Parks. Ces experts firent la démonstration qu’il était fort probable que Parks eut été en plein chœur d’un épisode de somnambulisme au moment de poser les gestes qui menèrent à la mort de sa belle-mère. Les différentes évaluations démontrèrent un historique familial de trouble du sommeil. Parks lui-même aurait d’ailleurs souffert d’épisodes sévères de somnambulisme tout au long de sa vie. Juste avant les événements, Parks avait vécu une période de stress importante et avait souffert d’insomnie. Finalement, l’entourage interrogé dans le cadre de cette affaire confirma que Parks entretenait une excellente relation avec sa belle-mère et que son caractère doux et gentil ne laissait en rien présager qu’il pourrait commettre un tel geste.   Au final, Parks fut jugé non criminellement responsable pour automatisme (traduction libre de «noninsane automatism»).

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Faible prévalence

La majorité des épisodes d’agitation nocturne sont sans conséquence. Néanmoins, il est estimé que 2% de la population commettra des gestes à caractère violent en dormant (Ohayon, Gaulet, & Priest, 1997).

Alexander Bonkalo, psychiatre, publia en 1974 une revue de 50 cas où le patient avait commis des gestes violents en dormant (Bonkalo, 1974). Sur les 50 cas, 20 étaient des histoires de meurtres. Les 30 autres comprenaient entre autre des gestes à caractère sexuel. Bonkalo mit en lumière plusieurs caractéristiques communes à travers ces cas : souvent, il s’agissait d’hommes en bas âge ayant toujours souffert de somnambulisme. Ces hommes présentaient également un historique familial de troubles du sommeil (énurésie, cauchemars, agitation et éveils).

Les phases de sommeil associées à ce type de conduites

De tels gestes sont associés aux deux phases principales du sommeil : sommeil à ondes lentes et sommeil paradoxal (phase de mouvements rapides des yeux).

Pour ce qui est du sommeil à ondes lentes, on réfère surtout au somnambulisme qui lui se décline en plusieurs comportements : parler, bouger, marcher, manger, ainsi que des gestes à caractère violent et/ou sexuel (masturbation, attouchement du partenaire, relation complète). Vous l’aurez deviné, cette dernière catégorie a un fort potentiel de poser problème entre deux partenaires de chambre. Les personnes qui souffrent de «sexsomnie» rapportent souvent une détresse importante à l’idée de dormir avec des nouveaux partenaires de chambres ou de dormir à l’extérieur. Pour le partenaire qui ne présente pas une compréhension poussée du sommeil, des phases et des troubles qui s’y rattachent, ces gestes sont vite perçus comme une agression et peuvent mener à des plaintes formelles.  D’ailleurs, une étude a montré que 8% des gens qui avaient rapporté souffrir de sexsomnie avaient été poursuivis en justice (Trajanovic, Mangan, & Shapiro, 2007).

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Pour ce qui est du sommeil paradoxal, il est question du trouble du comportement en sommeil paradoxal. La nature des gestes varie grandement et est souvent cohérente avec le contenu de l’activité onirique. Par exemple, une personne qui rêve qu’elle se défend contre un ours qui l’attaque, pourrait frapper son/sa conjoint/e en pensant qu’il s’agit de l’ours. Lorsqu’éveillée, la personne sera souvent en mesure de faire des liens entre les gestes que son/sa partenaire de lit lui rapporte et le rêve qu’elle faisait. Dans certains cas, la personne peut donc causer des blessures à son/sa partenaire de chambre ou s’infliger des blessures à elle-même.

En clinique…

Depuis le début de ma pratique, j’ai eu à intervenir auprès de personnes souffrant de somnambulisme (sous-type sexsomnie). Ces cas sont rares, mais lorsqu’une telle problématique survient, la souffrance est grande. De par le caractère des gestes posés pendant le sommeil, les gens sont souvent très réticents à demander de l’aide. Ils se trouvent anormaux, ils ont honte et ils se sentent en perte de contrôle. Les gens avec qui j’ai eu à intervenir étaient des hommes, souvent très timides, qui présentaient des difficultés d’affirmation dans leurs relations et qui rapportaient des difficultés à gérer leurs émotions, en particulier la colère et l’anxiété. Est-ce que de futures recherches permettront de confirmer qu’il s’agit du profil type des hommes qui souffrent de sexsomnie? À voir.

L’importance d’une évaluation rigoureuse

Pour le professionnel appelé à intervenir dans une telle problématique, il est d’abord important de faire preuve de rigueur dans l’évaluation des difficultés. Bien-sûr, l’idéal serait de faire un test de polysomnographie qui comprend plusieurs mesures physiologiques. Ces mesures sont mises en concordance et permettent de dire dans quelle phase du sommeil la personne se trouve lorsqu’elle fait les comportements problématiques. Le problème principal est que très peu de cliniques offrent cette évaluation au Québec. Qui plus est, comme la fréquence des épisodes est irrégulière, il faut être chanceux pour que la nuit d’évaluation tombe au même moment qu’un épisode.

Le professionnel peut donc se rabattre sur des questionnaires, des auto-enregistrements et des entrevues pour poser une impression diagnostique. J’ai même déjà rencontré un patient qui avait investi dans une caméra infrarouge qu’il avait placée dans sa chambre pour documenter les épisodes.

Bien-sûr, le partenaire de chambre doit être mis à contribution dans le processus d’évaluation puisqu’il est un témoin clé et pourra dire à quel moment de la nuit les épisodes surviennent. En effet, considérant que les épisodes de somnambulisme surgissent en sommeil à ondes lentes et que cette phase survient principalement dans le premier tiers de la nuit, si les gestes problématiques ont lieu en début de nuit, cela orientera le diagnostic vers le somnambulisme. En revanche, si les gestes apparaissent vers le milieu ou la fin de la nuit où se trouve une prépondérance de sommeil paradoxal, cela orientera le diagnostic vers un trouble du comportement en sommeil paradoxal.

Par ailleurs, l’apport d’un médecin est souhaitable puisque certaines conditions médicales comme l’épilepsie ou la prise de certains médicaments qui ont un impact sur les phases de sommeil peuvent induire de tels épisodes. Un examen physiologique pourra être réalisé afin d’écarter de telles causes.

Que faire?

En traitement, la priorité sera d’abord de sécuriser la chambre pour minimiser les risques de blessures. Aussi, de l’information sur la condition sera transmise au/à la partenaire de lit. Ensuite, l’accent sera mis sur l’hygiène du sommeil. L’objectif sera de réduire les déficits de sommeil et diminuer l’utilisation de substances qui affectent les stades de sommeil. Comme le stress est un facteur associé aux épisodes, un volet visant la gestion de l’anxiété sera fait. Finalement, une médication pourra également être utilisée si la personne le souhaite ou si les risques associés aux gestes posés sont considérables.

Sur ce, je vous souhaite un bon sommeil,

Dre Emmanuelle Bastille-Denis Ph.D. psychologue

Dre Emmanuelle Bastille-Denis Ph.D. psychologue

Liste de références

Bonkalo, A. (1974). Impulsive acts and confusional states during incomplete arousal from sleep : criminological and forensic implications, The Psychiatric quarterly, 48, 400-409.

Ebrahim, I. O. & Shapiro, C. M. (2010). Medico-legal consequences of parasomnias, dans The parasomnias and other sleep-related movement disorders, Cambridge medicine.

Ohayon, M., Caulet, M., & Priest, R. (1997). Violent behavior during sleep, Journal of Clinical Psychiatry, 58, 369-376.

Graham, G. D., Bradford, J. M., & Fedak, L. (2002). A comparison of R. v. Stone with R. v. Parks: two cases of automatism, The Journal of the American Academy of Psychiatry and the Law, 30: 541-547.

Trajanovic, N.N., Mangan, M., &Shapiro, C.M. (2007). Sexual behavior in sleep: an internet survey, Social Psychiatry and Psychiatric Epidemiology, 42: 1024-1031.