Astuces pour favoriser l’adaptation au travail de nuit

Dans le réseau de la santé, vous êtes nombreux à avoir vu vos tâches changer dans les dernières semaines en raison de la pandémie. Que vous soyez orthophonistes, psychologues, physiothérapeutes ou tout autre corps de métier, il se peut qu’on vous ait transféré dans les résidences pour personnes âgées afin de prêter main forte. Parmi vous, plusieurs se sont vus attribuer des horaires atypiques de soir ou de nuit. Vous vous êtes donc retrouvés face à de nombreux défis simultanément : réaliser un travail que vous n’avez pas choisi, intégrer un milieu que vous connaissez très peu, apprendre rapidement les tâches à réaliser en sachant qu’elles ont une incidence directe sur la santé de bénéficiaires et travailler sur un horaire qui est contraire à vos habitudes de sommeil. D’abord, je tiens à vous dire deux choses : il est normal que tout ceci vous rende anxieux et je vous trouve courageux de prendre part à cette lutte. Bravo et merci! Vous avez toute mon admiration et je suis avec vous en pensées.

Avec beaucoup d’humilité, je tenais à faire ma part en vous donnant quelques astuces pour favoriser votre transition d’un sommeil de nuit vers un sommeil de jour.

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Comprendre la base : comment fonctionne le sommeil

Dans votre cerveau (plus précisément dans votre hypothalamus) se trouve une horloge biologique. Cette horloge est chargée de commander l’état d’éveil et l’état de sommeil successivement. C’est donc à cette partie du cerveau que l’on doit l’aspect cyclique du sommeil et de l’éveil.

Pour réaliser cette tâche, l’horloge se sert des indices internes et externes pour savoir quel est le moment d’induire le sommeil ou l’éveil. Parmi les indices externes, le plus important est la lumière et le l’obscurité qui alternent (hé oui! La terre est très régulière!) et qui aident notre horloge à voir dans quelle phase du cycle elle se trouve afin de produire l’état correspondant. Pour l’horloge, la clarté = éveil et l’obscurité = sommeil.  Vous comprendrez qu’un travailleur œuvrant la nuit et dormant de jour place son horloge biologique devant un certain défi puisque l’horloge se retrouve à avoir des signaux contradictoires et inhabituels, ce qui lui complique le travail. Pas de panique! Il suffit simplement d’aider votre horloge à retrouver de la sécurité à travers l’introduction de signaux que vous mettrez en place. Comment? Je vous l’explique.

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Quelques outils pour favoriser l’adaptation au sommeil de jour

Stratégie 1:

Avant de partir du travail, faites le bilan de votre nuit de travail : y a-t-il des choses que vous ne devez pas oublier pour votre prochain quart de travail? Si oui, il est préférable de les noter sur un papier avant de quitter pour vider votre esprit. Cela vous évitera de craindre d’oublier des choses. Vous êtes en période d’adaptation : il est à prévoir que votre cerveau bouillonne! Matérialiser le tout sur un bout de papier vous aidera à limiter le hamster dans sa roue!

Stratégie 2 :

Sur la route vers la maison, portez des verres fumés. Obscurité = sommeil, vous vous rappelez? Ainsi, vous voulez maximiser vos chances que votre horloge comprenne que vous souhaitez vous diriger vers le sommeil. Ai-je besoin de dire que les écrans (cellulaire, tablette, ordinateur) en arrivant à la maison sont à éviter? Mettez les chances de votre côté et optez pour un autre divertissement qui enverra moins de lumière à vos yeux.

Stratégie 3 :

Idéalement, il est souhaitable de vous coucher peu de temps après être arrivés à la maison considérant que vous aurez possiblement un élan de somnolence assez fort après votre nuit de travail. Malgré tout, il est parfois plus payant de repousser légèrement votre heure de coucher si vous vous sentez trop activés.  Ainsi, je vous suggère de repérer les signaux d’activation pour les désamorcer. Vous avez faim? Osez manger légèrement avant de vous coucher. Vous êtes très actifs cognitivement parce que votre nuit a été mouvementée? Il est préférable de laisser redescendre l’activation en accomplissant une activité de détente pendant 30-45 minutes avant d’aller au lit. Vous avez été bouleversés ou frustrés par une situation vécue au travail? Il pourrait être souhaitable de ventiler sur cet aspect avant d’aller au lit si l’émotion est trop envahissante. Faites un bon diagnostic de votre niveau d’activation.

Stratégie 4 :

Juste avant d’aller au lit (5 minutes avant le coucher), développez un rituel que vous ferez de façon systématique. Concrètement, choisissez 2 ou 3 comportements simples et brefs mais que vous ferez toujours de la même manière chaque matin avant d’aller au lit. Le but est que votre cerveau associe ces comportements au fait que vous alliez dormir et ainsi, sécuriser votre horloge biologique.

Stratégie 5 :

Les travailleurs de nuit arrivent généralement à trouver le sommeil rapidement lorsqu’ils initient leur période principale de sommeil (celle au retour du travail). La difficulté réside dans le fait de le maintenir après 3 ou 4h de sommeil. En effet, la très grande majorité des travailleurs de nuit dorment de jour en réalisant 2 périodes de sommeil : la première au retour du travail et l’autre avant le début de leur quart de nuit. Ainsi, il est normal que votre sommeil ne soit pas équivalent à ce qu’il était avant le début du travail de nuit. Ayant fait ma thèse de doctorat sur le sommeil des travailleurs de nuit, j’ai pu observer que les gens qui se mettaient beaucoup de pression pour avoir un 7-8h de sommeil de jour en continu étaient beaucoup plus anxieux et dormaient moins bien au final. On le sait : la pression et l’anxiété sont des ennemis du sommeil!

Stratégie 6 :

Advenant que vous vous réveilliez après 3-4h de sommeil et que vous soyez incapables de vous rendormir,  sortez du lit au bout de 30 minutes. Demeurez dans un endroit tranquille et relativement sombre. Essayez d’opter pour une lumière tamisée et faites une activité relaxante et apaisante qui vous permettra de retrouver la somnolence et le sommeil. Si la somnolence ne revient pas au bout d’une heure de relaxation et que vous sentez la frustration ou l’anxiété monter, il est préférable de débuter votre journée. Vous pourrez compenser en optant pour une sieste en fin de journée. Ne forcez pas votre sommeil pour l’instant.

Stratégie 7 :

Si possible au courant de votre nuit de travail, essayez de vous exposer à la lumière. Vous pourriez opter pour une lampe de luminothérapie dans les premières heures de votre quart de travail si votre organisation le permet afin d’envoyer des signaux d’éveil à votre horloge. Vous l’aurez compris, vers la fin de votre quart de travail, l’idée sera de diminuer la lumière et de favoriser les signaux de sommeil (diminution de l’activation, obscurité).

Stratégie 8 :

Si vous vivez en famille ou avec des colocataires, je vous conseille fortement de sensibiliser tout ce beau monde à votre nouvelle réalité de sommeil. Ils auront un rôle important à jouer et devront être vos alliés en minimisant les bruits ambiants. Votre contribution à l’organisation familiale pourrait être altérée. Osez déléguer des tâches et demander de l’aide à vos proches. Votre costume de superwoman ou superman, vous avez assez de le mettre au travail, nul besoin de le porter pas à la maison en plus du reste!

Conclusion

Pour certains d’entre vous, il est possible que le passage à un horaire de nuit soit anxiogène. Il se pourrait que vous redoutiez de ne pas être capables de dormir. Essayez de dédramatiser. Même si on entend régulièrement parler du fait que de dormir de jour est difficile, une grande majorité de travailleurs de nuit arrivent à bien s’adapter et à bien fonctionner. Vous pourriez donc être surpris! De plus, rappelez-vous que votre corps possède une propension naturelle vers le sommeil. Il veut dormir!

Qui plus est, certaines études ont montré que l’attitude que les gens adoptent face au travail de nuit est très importante. Il s’agit de l’une des variables qui est associée à une bonne adaptation. Ainsi, les gens qui arrivent à voir les côtés positifs et constructifs d’un tel horaire s’y adaptent plus aisément.

Bon courage,

Dre Emmanuelle Bastille-Denis Ph.D. psychologue

Dre Emmanuelle Bastille-Denis Ph.D. psychologue