La nuit blanche : le mammouth des insomniaques

Préambule

Il y a quelques semaines, j’avais rédigé un article inspiré d’une conférence sur le stress donnée par Sonia Lupien, Ph.D. dans le cadre du congrès de l’Ordre des psychologues du Québec (cliquez ici pour le voir ou le revoir, cliquez ici!). Comme cette conférence m’a énormément plu et que j’adore appliquer les concepts proposés par Dre Lupien à ma pratique spécialisée en insomnie, j’ai décidé de récidiver en vous parlant de stress face à la fameuse nuit blanche que plusieurs redoutent. J’espère cet article saura vous plaire tout autant que le précédent!

Les mammouths, ces créateurs de stress

Commençons par le début et parlons de stress. Pour Dre Lupien, la réaction de stress se produit lorsque nous percevons une situation comme menaçante. Cette réaction de stress vise à permettre à notre organisme de faire face à la menace perçue. Lors de cette réaction, nous vivons des symptômes physiques qui culminent en un niveau d’activation globale élevé et une augmentation des ressources attentionnelles qui sont dirigées vers le danger. Ces symptômes peuvent se retrouver parmi les suivants :

– augmentation du rythme cardiaque (le sang est distribué vers les muscles qui permettent de courir ou combattre comme les bras et les jambes);

– problèmes gastro-intestinaux (la digestion perd son importance puisqu’il est plutôt temps d’être fort! L’énergie est donc dévouée aux muscles);

– tensions et tremblements (les muscles se contractent pour préparer la fuite ou le combat. Les contractions peuvent être d’une intensité telle qu’elles produisent des tremblements);

– souffle court (les muscles respiratoires se contractent pour favoriser l’expansion des poumons, ce qui crée une impression d’oppression respiratoire).

– transpiration (le niveau d’activation du corps est grand, les vaisseaux sanguins se dilatent pour livrer un apport suffisant d’énergie aux muscles, donc la transpiration augmente).

Cette réaction au stress est bien ancrée dans notre système pour nous permettre de fuir ou de combattre l’ennemi. Dre Lupien fait le parallèle avec la préhistoire où les humains devaient faire face aux mammouths. En effet, devant un mammouth, le cerveau devait envoyer un signal de danger très puissant qui permettait de mettre le corps en état d’alerte et dévouer les ressources physiques nécessaires pour combattre ou fuir. Le signal de danger avait sa raison d’être : nous permettre de survivre.

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Avec les années, les mammouths ont disparus (dieu merci!). Toutefois, la réaction de stress demeure. C’est que le cerveau humain est créatif! Il lui arrive donc de déclencher des réactions de stress face à des situations perçues comme menaçantes (un peu comme un remake de film que l’on appellerait « Les mammouths contre-attaquent »).  Si bien qu’en 2017, les mammouths se présentent en version 2.0: une perte d’emploi, un conflit de couple, des difficultés financières, des inquiétudes face à notre santé, etc.

La nuit blanche : ce mammouth populaire chez les insomniaques!

Dans ma pratique, lorsque je questionne les gens sur leurs inquiétudes face à leurs difficultés de sommeil,  la plupart rapportent être complètement effrayés à l’idée de ne pas dormir. Ils ont peur de vivre cette affreuse nuit blanche pendant laquelle le reste de la planète dort, mais pas eux. S’en suit évidemment une grande pression pour dormir : « Je dois m’endormir! Si je n’arrive pas à m’endormir après 1h du matin, les chances sont grandes pour que je passe la nuit debout! ». Et voilà que le mammouth se pointe en prenant différentes formes : « Et si je n’arrive pas à fermer l’œil, comment arriverai-je à produire ce rapport pour mon patron? », « Je ne serai pas en mesure de prendre soin de mon bébé. Je pourrais devenir irritable et perdre patience!»,  « Je ne serai pas suffisamment concentré pour faire cette allocution pour laquelle je me prépare depuis des mois pour ce dîner d’affaires. Les convives verront que je suis fatigué, ce n’est pas bon pour mon image professionnelle! ». Sans vous en rendre compte, vous avez appelé le mammouth comme un chasseur appellerait l’orignal en forêt à l’automne. À la différence du chasseur, vous n’avez pas prévu de munition, si bien que vous vous retrouvés terrorisés par ce mammouth.

Tel que mentionné précédemment, votre cerveau a bien vu les questionnements et inquiétudes se déployer, si bien que ce qui devait arriver arriva : il commande une réponse de stress à l’organisme. Un petit rappel de la réaction de stress : une élévation du niveau global d’activation accompagnée de différents symptômes ainsi que des ressources attentionnelles dirigées vers le danger potentiel. En résumé : vous devenez alors incapables de dormir et l’insomnie s’installe. Historiquement, il faut dire que cet éveil était adaptatif puisque quelqu’un devait bien rester aux aguets pour surveiller la grotte et réveiller le reste de la famille d’invasion de mammouths à domicile! Aujourd’hui, il est donc normal, dans de telles circonstances, que votre corps s’active face à ce danger perçu. Toutefois, dans les faits, les conséquences de cette fameuse nuit blanche n’ont rien à voir avec le mammouth d’autrefois. Et c’est exactement ce que vous devez faire comprendre à votre cerveau.

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Comment s’en sortir?

Il vous faut donc faire la chasse au mammouth et le désamorcer à grands coups d’investigations et de questionnements basés sur les faits.

En premier lieu, il convient de se demander quel est l’état des faits. Que savons-nous de ce mammouth de façon générale? Les études tendent à démontrer qu’il est très rare que l’on n’enregistre aucune activité de sommeil lorsque l’on évalue un individu grâce à la polysomnographie. Cette forme d’enregistrement comporte différentes mesures physiologiques (ondes du cerveau, mouvements des yeux, tensions musculaires) et constitue la façon la plus fiable et objective d’évaluer le sommeil à ce jour. Cette procédure a démontré au cours de nombreuses études que la perception d’un individu face à son sommeil est souvent très différente de ce qui était mesuré dans les faits. En laboratoire, il arrive que l’on questionne les gens à savoir s’ils ont dormi ou non et que ceux-ci aient tendance à répondre qu’ils n’ont pas dormi alors que les mesures montrent le contraire. Certes, ces gens n’atteignent pas des stades de sommeil profonds, mais il n’en demeure pas moins qu’ils obtiennent quelques heures de sommeil en dépit de leur perception.

Vous n’êtes pas convaincus? Je vous propose la petite expérience suivante. Lors de la prochaine fin de semaine, je vous suggère de prendre le mammouth par les cornes et de provoquer une nuit blanche. Oui-oui, je vous invite à tenter le diable comme dirait ma grand-mère! Je vous donne le devoir de demeurer éveillés toute la nuit. Je ne veux à aucun moment que vous fermiez l’œil, est-ce bien clair (à lire avec un ton autoritaire)? Blague à part, que peut-on prévoir comme résultats à cette expérience? Il y a fort à parier que vous aurez de la difficulté à ne pas fermer les yeux et vous laisser glisser vers le sommeil. Le corps est constitué pour dormir! Il est fait pour ça! En bref, si on change le focus de la situation crainte et qu’on tente de la provoquer, il est très difficile de produire le phénomène.

En deuxième lieu, il vous faut savoir à quelle sorte de mammouth vous avez à faire. Considérant que chaque mammouth est différent d’une personne à l’autre, vous devez décortiquer la bête, votre bête. En langage clair, vous devez répondre à la question suivante : quelle est la pire conséquence  d’une nuit blanche pour vous? Allez au bout de la peur en poussant le questionnement de cette façon : « Et si cette conséquence arrivait, en quoi serait-elle grave pour vous? Que cela signifierait-il pour vous? Qu’est-ce que ceci révèlerait sur vous? ».

Une fois la conséquence crainte nommée, questionnez-en sa validité. D’abord, quelles sont les probabilités que ce que vous craignez surviennent? Seriez-vous prêt à parier vos économies là-dessus? Quelles preuves supportent que cette conséquence puisse arriver? Y a-t-il des preuves qui supportent le contraire? Et si le pire survient, comment arriverez-vous à y faire face? Selon Dre Lupien, le simple fait d’avoir un plan B ou une stratégie de rechange face à une situation appréhendée fait diminuer la réponse de stress. Alors, préparez-vous au pire!

En espérant que cet article vous aura été utile et qu’il vous aura permis de réfléchir sur votre peur de la nuit blanche. Rappelez-vous une chose : la pire conséquence à court terme d’une nuit blanche est la somnolence le lendemain  et une meilleure capacité à trouver le sommeil la nuit suivante.

Sur ce, je vous souhaite un bon sommeil,

Dre Emmanuelle Bastille-Denis Ph.D. psychologue

Dre Emmanuelle Bastille-Denis Ph.D. psychologue

Je vous invite fortement à parcourir le site web du Centre d’études sur le stress humain pour en savoir plus cliquez ici!

Bibliographie

Lupien, S. (2010). Par amour du stress. Boisbriand : Les Éditions au Carré, inc.

Morin, C. M. (2009). Vaincre les ennemis du sommeil. Montréal : Les Éditions de l’Homme.

Marchand, A. & Letarte, A. (2004). La peur d’avoir peur. Guide de traitement du trouble panique avec agoraphobie. Montréal : Les Éditions internationales Alain Stanké.