Sommeil et TDAH : qu’en dit la recherche?

Dans ma clientèle adolescente et adulte, il m’est fréquemment donné d’aider des gens ayant un diagnostic de trouble déficitaire de l’attention avec/sans hyperactivité (TDAH) avec leur sommeil. On peut facilement imaginer qu’un tel diagnostic puisse être accompagné de difficultés de sommeil, spécialement d’une difficulté à s’endormir. Dernièrement, j’ai fait un bref survol des récentes recherches établissant un lien entre l’insomnie et le TDAH et j’y ai fait des découvertes fort intéressantes. J’ai pensé vous les partager. Pour ceux qui ont soif d’en connaître plus suivant la lecture de cet article, sachez que les chiffres entre parenthèses correspondent aux articles d’où l’information citée à été tirée. La liste de références en fonction des numéros se trouvent à la fin du texte.

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Le sommeil et le TDAH en chiffres

Débutons par quelques statistiques. Les recherches démontrent que de 70% à 78% des personnes ayant un diagnostic de TDAH présente des difficultés à s’endormir (1-2-3). Une autre étude (4) a d’ailleurs mis en comparaison un groupe avec TDAH et un groupe contrôle (des gens n’ayant pas de diagnostic). 66% du groupe avec TDAH présentait de l’insomnie contre 28% du groupe contrôle. C’est donc dire que les gens qui ont un TDAH ont significativement plus de chances de souffrir d’insomnie que les gens sans diagnostic.

Des oiseaux de nuit

En plus d’un temps d’endormissement plus long, les personnes souffrant d’un TDAH sont plus souvent des « oiseaux de nuit » (5-6). Ils présentent un chronotype tardif, c’est donc dire qu’ils ont une préférence pour se coucher tard et se lever tard.

Le patron de sécrétion de la mélatonine (l’hormone du sommeil) constitue une mesure permettant de statuer sur le rythme éveil-sommeil de la personne. Normalement, on observe un peak de sécrétion de mélatonine en soirée. Ce changement hormonal est l’un des signaux envoyé au corps et au cerveau pour induire le sommeil. Fait intéressant : une étude montre que le peak de sécrétion de mélatonine chez les gens présentant un TDAH survient 1h30 plus tard comparativement à la population générale(3). Cet élément fournit une piste d’explication au délai d’endormissement plus long et retardé que l’on retrouve chez les gens présentant un TDAH.

Stimulants et sommeil, un bon mixte?

Comme vous le savez, la médication de choix pour traiter le TDAH appartient à la famille des stimulants. Il pourrait être logique de penser qu’une telle médication retarde l’endormissement chez une personne présentant un TDAH. En effet, on se rappelle que toute forme d’activation est un ennemi du sommeil au moment du coucher! Toutefois, les recherches ne permettent pas d’établir un tel lien. Une récente étude (4) visait à comparer un groupe de 94 patients TDAH avec une médication stimulante (methylphenidate, amphetamines, atomoxetine) à un groupe de 36 patients TDAH sans médication. Aucune différence significative n’a été trouvée entre les deux groupes quand à la proportion de gens qui souffraient d’insomnie. D’ailleurs, d’autres études viennent corroborer le fait que les stimulants ne semblent pas augmenter la probabilité de souffrir d’insomnie. En contrepartie, il convient de considérer le fait que certaines études laissent voir que l’insomnie pourrait être un effet secondaire de la médication. Qui a raison, qui a tord? Voilà toute la beauté et la complexité de la recherche en psychologie : plusieurs autres études avec une méthodologie spécifique et rigoureuse devront voir le jour avant que nous puissions statuer de façon claire sur ce sujet.

Une relation bidirectionnelle

La plupart des chercheurs s’entendent pour dire que la relation entre le sommeil et le TDAH est bidirectionnelle. D’un côté, le TDAH peut exacerber les difficultés de sommeil. D’un autre côté, les difficultés de sommeil peuvent accentuer les symptômes du TDAH.

Ceci souligne donc l’importance de faire une évaluation rigoureuse afin de départager le tout. Il arrive que les difficultés de sommeil engendrent un patron de conséquences diurnes qui laissent croire à des difficultés attentionnelles. D’autre part, un TDAH sans traitement adéquat pourra amener des difficultés de sommeil incapacitantes et laisser penser qu’un trouble du sommeil se trouve à l’avant-plan. L’évaluation des deux types de problématiques réalisée par un professionnel (psychologue, neuropsychologue, médecin ou psychiatre) revêt ici toute son importance. Conséquemment, un traitement adéquat et orienté vers les bonnes cibles de traitement est primordial également.

Sur ce, je vous souhaite un bon sommeil!

 

Dre Emmanuelle Bastille-Denis Ph.D. psychologue

Dre Emmanuelle Bastille-Denis Ph.D. psychologue

Références (en ordre d’apparition dans le texte)

  1. Kooij, J.J.S., Aeckerlin, L.P., & Buitelaar, J.K. (2001). Functioning, comorbidity and treatment of 141 adults with attention deficit hyperactivity disorder (ADHD) at a Psychiatric Outpatient’s Department [Dutch]. Ned Tijdschr Geneeskd (145): 1498-1501.
  2. Boonstra, A.M., Kooij, J.J.S., Oosterlaan, J., Sergeant, J.A., & Buitelaar, J.K. (2007). Hyperactive night and day? Actigraphy studies in adult ADHD: baseline comparison and the effect of methylphenidate. Sleep (30): 433-442.
  3. Van Veen, M.M., Kooij, J.J.S., Boonstra, M., Gordijn, M.C.M., & Someren, E.J.W.V. (2010). Delayed circadian rhythm in adults with attention-deficit/hyperactivity disorder and chronic sleep-onset insomnia, Biological Psychiatry (67): 1091-1096.
  4. Brevik, E.J., Lundervold, A.J., Halmoy, A., Posserud, M.-B., Instanes, J.T., Bjorvatn, B., & Haavik, J. (2017), Prevalence and clinical correlates of insomnia in adults with attention-deficit hyperactivity disorder, Acta Psychiatrica Scandinavica (136): 220-227.
  5. Caci, H., Robert, P., Boyer, P. (2004). Novelty seekers and impulsive subjectsare low in morningness. Eur Psychiatry 19:79–84.
  1. Rybak, Y.E., McNeely, H.E., Mackenzie, B.E., Jain, U.R., & Levitan, R.D. (2007). Seasonali and circadian preference in adult attention-deficit/hyperactivity disorder: Clinical and neuropsychological correlates. Compr Psychiatry 48:562–571.