Cannabis et sommeil : qu’en dit la recherche

Je ne sais pas si c’est le contexte politique qui m’amène ce genre de questions, mais depuis quelques semaines, il m’est fréquemment demandé si le cannabis a un effet bénéfique sur le sommeil. Vous comprendrez que cette question épineuse requiert une manipulation particulière considérant les débats qui subsistent depuis l’annonce de sa légalisation dans quelques mois! Je me suis donc prêtée à un exercice que j’aime spécialement faire lorsqu’on m’invite à me positionner sur un aspect en lien avec le sommeil : j’ai questionné la recherche.  Et là, quand je parle de recherche, je ne parle pas d’une pseudo-étude menée par votre beau-frère qui a fait un sondage auprès de ses chums de gars pour savoir si le « pot » les aidait à dormir! Je parle de plusieurs études… de recherches rigoureuses, exemptes d’agenda caché et utilisant une méthodologie de mesure sérieuse.

Avant de vous donner les résultats des recherches consultées, je vous propose un ptit rappel des phases de sommeil. Vous le verrez plus loin, le cannabis a un impact sur la qualité de votre sommeil (et donc sur les phases de votre sommeil). Il convient donc de rafraichir vos connaissances sur cet aspect.

Sommeil 101 : la base

Notre sommeil est constitué de plusieurs phases qui alternent au courant de la nuit et se distinguent par l’activité cérébrale qui les caractérise. Deux de ces phases retiennent davantage l’attention : le sommeil à ondes lentes (ou le fameux sommeil profond!) et le sommeil paradoxal. Ces deux phases principales sont entrecoupées de phases de sommeil léger.

Regardons les phases principales de plus près pour comprendre leur importance. D’abord, la phase de sommeil à ondes lentes (sommeil profond). Au cours de cette phase, le cerveau est très peu actif. Selon certains chercheurs, c’est dans cette phase du sommeil que l’énergie est restaurée dans notre corps. C’est aussi à ce moment que le sommeil est le plus profond. Ainsi, la sensibilité aux stimuli externes est amoindrie. C’est donc dire que si un camion passe dans la rue et que vous vous trouvez dans cette phase, vous ne l’entendrez probablement pas!

Puis, il y a la deuxième phase que l’on nomme le sommeil paradoxal ou encore le sommeil REM (rapid eye movements ou mouvements rapides des yeux). C’est principalement pendant cette phase que les rêves surviennent. Pourquoi le terme paradoxal me direz-vous? Tout simplement parce qu’il est paradoxal de constater que le cerveau est très actif (produisant une multitude d’images qui constituent les rêves) alors que notre corps est paralysé.  En effet, le corps perd son tonus musculaire, ce que l’on appelle l’atonie posturale (une expression que vous pourrez utiliser lors de votre prochain souper d’amis pour impressionner vos convives!). Selon certains chercheurs, cette paralysie du corps aurait pour fonction principale de nous empêcher d’agir nos rêves. Plutôt utile! En effet, imaginons la scène si le corps ne se trouvait pas dans cet état de paralysie et que vous rêviez que vous combattez l’ennemi tel un valeureux chevalier! Votre partenaire de lit n’apprécierait certainement pas la chose! Finalement, il faut savoir que cette phase de sommeil sert à la consolidation des apprentissages que vous aurez faits pendant la journée. Cette phase servirait également à mettre de l’ordre dans l’information à caractère émotif.

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Les effets du cannabis : qu’en dit la recherche

Contrairement à d’autres phénomènes où il n’existe pas de mesures objectives accessibles (anxiété, dépression, dépendance, etc.), le sommeil peut être mesuré de façon rigoureuse à l’aide de la polysomnographie. Cette méthode regroupent plusieurs mesures physiologiques qui, misent ensemble, permettent de savoir dans quel stade de sommeil la personne se trouve. En matière de recherche, il s’agit d’un avantage considérable puisque cette mesure permet de quantifier le sommeil et d’échapper à la subjectivité des gens. Les études que j’ai consultées utilisaient cette méthodologie.

Allons-y avec les découvertes que j’ai faites au courant de mon périple sur les bases de données universitaires. Pour ce qui est de la consommation de cannabis occasionnelle, les recherches montrent une diminution du temps mis pour s’endormir et une augmentation du temps passé en sommeil profond (sommeil à ondes lentes).  Et là, je vous entends penser : « Oui mais c’est cool ça, non? ». Avant de commencer à se réjouir, poursuivons… Ces recherches montrent également une diminution du temps passé en sommeil paradoxal (sommeil REM). Oups… un peu moins cool. Pourquoi? Parce que chaque stade a sa fonction et sa raison d’être. Notre corps et notre esprit ont besoin de chaque stade de sommeil pour une raison bien particulière (pour ceux qui auraient sauté la section « Sommeil 101 » pour aller plus vite vers les résultats, ne passez pas par Go et ne réclamez pas 200$ : allez à la section précédente pour bien comprendre).  En résumé : un gain au niveau du sommeil profond et une perte au niveau du sommeil paradoxal. Le sommeil est donc bousculé de façon considérable. Un peu comme si vous enleviez les fruits et légumes de votre alimentation.

Par ailleurs, il semblerait que ces effets soient considérablement modulés par le taux de THC présent dans le cannabis. Par conséquent, les auteurs insistent sur le fait que d’autres études devront contrôler cet aspect avant de conclure à un effet positif du cannabis sur le sommeil.

Et si on parlait maintenant de consommation régulière (3 fois et plus par semaine). Allons doit au but : les études tendent à démontrer la suppression du sommeil à ondes lentes. Oui-oui : la suppression comme dans « il n’y a plus de sommeil profond »! Je ne sais pas si vous m’avez bien suivie jusqu’ici, mais le sommeil à ondes lentes (sommeil profond) permet à vos cellules, vos muscles, vos organes de récupérer. S’il n’est plus, c’est donc dire que la récupération physique que permet votre sommeil est grandement altérée.

Admettons qu’en lisant ces lignes, vous cherchiez un argument de plus pour ne pas consommer de cannabis de façon régulière… je vous donne quelques informations sur les symptômes de sevrage. Les recherches montrent que des symptômes de sevrage apparaissent dès la première nuit d’abstinence. Ces symptômes sont les suivants : augmentation du temps mis pour s’endormir, augmentation des éveils nocturnes, diminution du temps total de sommeil, diminution du temps passé en sommeil profond. Différentes études ont montré que ces symptômes étaient particulièrement notables lors des 2 premières semaines d’abstinence et perduraient pour environ 45 jours suivant l’arrêt du cannabis.

Si vous consommez du cannabis de façon régulière et que vous en êtes dépendant, ces données concernant le sevrage ne doivent pas vous décourager! Elles doivent servir à nuancer l’insomnie de rebond que vous vivrez probablement en cas d’arrêt. Cette insomnie est alors normale et elle finira par passer. Surtout, ces données doivent servir à vous motiver à diminuer votre consommation. Le sommeil naturel est toujours à privilégier. C’était le mot de la fin!

Sur ce, je vous souhaite un bon sommeil!

Dre Emmanuelle Bastille-Denis Ph.D. psychologue

Dre Emmanuelle Bastille-Denis Ph.D. psychologue

Bibliographie

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