Tous les parents pourront vous le dire, l’arrivée d’un enfant bouscule de manière assez fracassante le sommeil. Que ce soit pour réconforter le nouveau né ou pour le nourrir, les éveils nocturnes deviennent monnaie courante pour les parents. Il n’est donc pas surprenant que plusieurs jeunes mamans me consultent disant avoir des difficultés de sommeil. Typiquement, ces femmes arrivent au centre en me disant que leur bébé fait maintenant ses nuits (youpi!), mais que malgré tout, elles n’arrivent pas à dormir comme avant (oups!). Elles s’empressent généralement de me dire qu’elles aiment profondément leur enfant (ah cette culpabilité maternelle!), mais que celui-ci a détruit leur sommeil à grands coups de cris, de pleurs ou de tétées nocturnes. Souvent, ces femmes voient leur congé de maternité s’effriter à la vitesse grand V et la seule perspective d’un retour au travail éventuel leur donne la nausée. Dans un langage simple: elles angoissent. «Comment vais-je faire pour être efficace au travail tout en composant avec cette nouvelle structure familiale si je ne suis même pas capable de reprendre des forces d’ici mon retour?». Pour d’autres, la frustration est à l’avant-plan. Elles trouvent frustrant que tout le monde dans la maisonnée ait retrouvé un rythme normal alors qu’elles sont les seules à ne pas arriver à dormir et récupérer de cette grande épopée.
Commençons par le commencement : comprendre le problème
Je l’ai souvent dit et je me répète : comprendre les difficultés qui nous affligent est déjà un grand pas pour amorcer le changement et reprendre le contrôle de la situation. Lorsque je reçois les nouvelles mamans dans ma clinique, un historique de l’épisode de difficultés de sommeil est d’abord tracé. Celui-ci permet généralement de voir que le sommeil s’est mis à faire des siennes dès le début de la grossesse. Est-ce anormal ? Pas du tout ! En effet, le sommeil subit des modifications dès les premiers mois de grossesse. Ce phénomène est attendu et normal. Ces changements sont occasionnés par une augmentation du volume sanguin, des modifications au niveau de la sécrétion hormonale et des changements physiques qui modifient la posture de sommeil et engendrent parfois des douleurs.
Changements normaux qui surviennent avec la grossesse
Premier trimestre :
La future maman rapporte souvent une somnolence importante à cette étape. L’augmentation du taux de progestérone pourrait en être responsable. En effet, tel qu’expliqué dans mon dernier article sur le cycle menstruel, la progestérone est une hormone qui est liée de près au sommeil. Au niveau des stades de sommeil, on observe une augmentation du sommeil paradoxal (là où nous rêvons) et une diminution du sommeil à ondes lentes (où nous récupérons physiquement). En dépit d’une durée de sommeil plus longue, on assiste à une augmentation des éveils nocturnes dans cette période notamment liés à l’envie fréquente d’uriner. Qui dit sommeil plus entrecoupé dit aussi envie irrésistible de faire des siestes en journée.
Deuxième trimestre :
Le sommeil est globalement plus léger à cette période. Lorsque nous nous trouvons dans des phases de sommeil léger, nous sommes plus sensibles aux stimulations de l’environnement. C’est donc dire que les éveils nocturnes sont plus fréquents à cette période également.
Troisième trimestre :
Le taux de progestérone diminue. Le temps passé en sommeil léger augmente de plus belle. Les éveils nocturnes demeurent présents et sont également liés à la posture de sommeil qui devient plus difficile. Le bébé peut également se montrer plus turbulent et ses mouvements peuvent entraîner des éveils. Pour certaines futures mamans, des maux de dos et des crampes dans les jambes peuvent apparaître, ce qui influence le sommeil.
Bébé arrive ! Que se passe-t-il au niveau du sommeil
De nombreuses études montrent un bouleversement du sommeil tant au niveau qualitatif que quantitatif (il n’y avait pas besoin d’études bien-bien scientifiques pour vous le confirmer, me direz-vous !). En effet, en plus des changements physiologiques, on ne pourrait passer sous silence le stress que génère l’arrivée d’un enfant pour la plupart des mamans. Même s’il s’agit d’un bon stress, celui-ci est susceptible d’affecter le sommeil. Au niveau des stades de sommeil, on observe une diminution du temps passé en sommeil paradoxal (là où nous rêvons). La bonne nouvelle ? Le temps passé un sommeil profond (là où nous récupérons physiquement) est augmenté. Comme si le corps compensait et s’adaptait à ce gros changement qui survient dans la vie et dans le corps de la nouvelle maman.
Quand l’insomnie s’installe
Il faut donc retenir que tous ces changements sont normaux et sont explicables par les nombreuses modifications physiologiques et psychologiques survenant dans cette période. Je vous entends penser… « Si ces changements sont normaux, qu’est-ce qui fait que le sommeil redevient normal chez certaines mamans et qu’il demeure difficile chez d’autres? » Il y a plusieurs explications possibles.
Pour certaines mamans, l’arrivée du bébé a ouvert la porte à de l’anxiété qui était dormante ou autrefois bien gérée. Souvent, ces mamans me confient avoir désormais une impression globale de glisser. Elles me disent qu’avant la grossesse, elles exerçaient un contrôle sur différents paramètres de leur vie, ce qui les empêchait de ressentir de l’anxiété. Or, l’arrivée du bébé leur amène une impression de ne plus avoir de contrôle sur rien. La situation est nouvelle et elles n’ont plus de repères. Certaines me disent qu’elles se sentent parfois submergées par des scénarios catastrophiques (ex. le bébé qui meurt dans son sommeil, le bébé qui s’étouffe, un accident de la route qui les empêcherait de prendre soins de leur enfant, etc.). Typiquement, ces mamans vont développer une tendance à être alerte aux moindres faits et gestes de leur bébé pendant leur sommeil. Vous vous en doutez, cette hypervigilance est tout sauf compatible avec le sommeil! En effet, on peut facilement imaginer qu’il est difficile pour ces mamans de lâcher prise sur leur environnement et de s’abandonner au sommeil puisqu’elles guettent le phare 24 sur 24.
Pour d’autres mamans, c’est la volonté d’être une bonne mère, de profiter à fond de tous les premiers moments avec leur enfant, de tenir la maison en ordre et de récupérer leur forme physique d’avant qui occupe leurs pensées. Ces mamans ont à cœur le développement de leur enfant et veulent leur offrir ce qu’il y a de meilleur. Alors que le premier profil était davantage à coloration anxieuse, on assiste ici à un portrait de «pression de performance». Ces mamans se mettent une énorme pression de réussite et en viennent à se sentir frustrées de ne pas y arriver. Pour certaines d’entre elles, c’est la culpabilité et le découragement qui les guettent alors qu’elles constatent ne pas être en mesure de rencontrer les critères de réussite qu’elles se sont fixés.
Dans les deux cas, le sommeil est vu comme LE moyen pour arriver à contrôler l’anxiété ou arriver à atteindre les standards de performance. Elles DOIVENT dormir!
Il existe de l’aide
Comme psychologue, mon rôle est donc de leur fournir à la fois des outils pour redresser la situation et leur permettre de récupérer, mais aussi de prendre du recul face à la situation et réviser certaines façons de percevoir le sommeil. Et vous savez quoi? On y arrive.
Sur ce, je vous souhaite un très bon sommeil,
Bibliographie :
Kryger, M.H., Avidan, A.Y. & Berry, R.B. (2014). Atals of clinical sleep medicine, Elsevier Saunders.