Sommeil et techno!

Comme la majorité des processus impliquant une demande d’aide, tous mes suivis débutent par une évaluation et une cueillette de données. Je pose donc plusieurs questions à mes patients afin d’avoir une meilleure idée de leur sommeil. Comme le sommeil est un phénomène récurrent, il n’y a rien de mieux qu’une mesure quotidienne pour  l’évaluer. Mon outil de prédilection? Un simple et banal agenda du sommeil… en version papier. J’invite les gens à y noter quelques informations au sujet, par exemple, de leur temps d’endormissement, leurs éveils, leurs levers, etc. Et c’est au moment d’introduire cet outil à mes patients qu’il arrive que 2017 me frappe en plein visage! La technologie est désormais au service du sommeil et certains de mes patients s’empressent de me le démontrer avec enthousiasme! En effet, il est de plus en plus fréquent que les gens me disent ne pas avoir besoin de mon vilain agenda papier puisqu’ils possèdent une application ou une montre qui fera tout le travail! Hé oui, l’industrie technologique l’a bien compris : le sommeil est un sujet important et les gens ont ce désir d’en connaître toujours plus sur lui.

D’abord, je remarque deux grandes classes de bidules visant à mesurer le sommeil. Il y a les applications que l’on peut télécharger sur son téléphone cellulaire. Ces applications invitent les gens à placer leur cellulaire sur le matelas pendant qu’ils dorment afin que celui-ci recueillent des données sur leur sommeil. Il existe également des montres qui se basent sur les mouvements pour mesurer le sommeil.

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Les données recueillies par ces outils technos sont variées : temps d’éveil, temps de sommeil, moyennes, courbes de tendances et surtout, temps passé en sommeil profond. La motivation de base des gens qui y recourent est tout à fait louable : mieux comprendre leur sommeil et le décortiquer. De manière générale, il s’agit d’une attitude gagnante lorsque l’on veut aborder un problème. Toutefois, quelques nuances s’imposent.

Là où j’invite particulièrement les gens à faire preuve de sens critique est vis-à-vis l’analyse des stades de sommeil que ces outils fournissent. Comme vous le savez, nos nuits possèdent une architecture bien spéciale nous faisant passé d’un sommeil léger, à un sommeil profond en passant par du sommeil paradoxal (là où l’on rêve). Le problème principal avec les outils technos est leur prétention d’analyser ces stades de sommeil et de pouvoir évaluer le temps passé dans chacun de ces stades.

C’est ici que je vais possiblement briser des rêves : il est impossible de mesurer un stade de sommeil grâce à une application ou une montre (aussi chère et aérodynamique soit-elle!). Le seul moyen de mesurer le sommeil est par la polysomnographie. Et qu’est-ce que ça mange en hiver? Cette technique regroupe différentes mesures : activité cérébrale, rythme cardiaque, mouvements des yeux, mouvements de certaines régions du corps. C’est seulement lorsque TOUTES ces mesures ont été mises en relation que l’inférence sur le stade de sommeil peut être faite. Donc à moins que votre application ou votre montre possède des accessoires qui vous donnent le look très tendance sur la photo suivante, elle ne pourra vous renseigner sur la profondeur de votre sommeil!

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Image tirée du site de la Clinique du sommeil du Grand Montréal

Je vous entends penser : « Alors, est-ce que tout ce que me présente la montre ou l’application est basé sur un mensonge? » Bien-sûr que non! En fait, le mode de fonctionnement de ces outils est basé sur le mouvement. Lorsque vous portez votre montre, celle-ci détecte l’amplitude de vos mouvements et infère d’abord si vous êtes en état d’éveil ou de sommeil (la base quoi!). Puis, ce même procédé est utilisé afin de déterminer dans quel stade de sommeil vous êtes. Même chose pour votre application qui requiert que vous placiez votre cellulaire sur votre matelas et qui analysera le mouvement. Tel que mentionné précédemment, le mouvement est une donnée utilisée en polysomnographie pour analyser les stades de sommeil. Le hic est qu’elle doit être placée en correspondance avec plusieurs autres types de mesures pour pouvoir statuer sur le stade de sommeil. À lui seul, le mouvement ne peut être considéré comme une mesure fiable et valide de la profondeur de votre sommeil. Et là, je vous entends argumenter dans votre tête « Oui mais j’ai lu que les mouvements du corps et le rythme cardiaque ralentissaient en stade de sommeil profond! Alors pourquoi ce que rapporte ma montre serait faux? ». Ce à quoi je répondrai : le sommeil est un phénomène complexe faisant intervenir plusieurs systèmes. En polysomnographie, les mesures cérébrales obtenues grâce à des électrodes placées sur le crâne sont des données hyper importantes quand vient le temps de mesurer les stades de sommeil. Les applications et les montres de ce monde n’offrent pas cette possibilité à ce jour!

En résumé, ces outils technos ne sont pas mauvais en soi. Ils doivent simplement être utilisés en faisant preuve d’esprit critique. Ces outils seront de très bons alliés pour vous donner un aperçu des paramètres de sommeil suivant : le temps passé au lit, le temps dormi et le temps d’éveil. Ils ne doivent cependant pas vous servir à déterminer si vous avez passé suffisamment de temps en sommeil profond. Ces outils peuvent rapidement se transformer en source d’anxiété s’ils sont utilisés sans nuance. Et comme vous le savez sûrement, l’anxiété est un ennemi du sommeil!

Dre Emmanuelle Bastille-Denis Ph.D. psychologue

Dre Emmanuelle Bastille-Denis Ph.D. psychologue