Regard critique sur le sommeil : développer son esprit scientifique.

Pour les besoins de cet article, j’ai inscrit les mots « insomnie conséquences et risques » sur google. Voici l’un des énoncés que ce charmant google a fait surgir à mon écran :

Dormir moins de 6h par nuit occasionne des problèmes attentionnels et de mémoire.

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D’abord, la phrase.

En lisant ces mots, votre premier réflexe a peut-être été de vous dire que c’était une évidence, qu’une mauvaise nuit de sommeil amène forcément des problèmes de concentration! Deux choses. Premièrement, si vous n’avez pas de problèmes de sommeil chroniques, il se peut que votre cerveau ait analysé la phrase comme telle et ait ensuite tourné son attention vers autre chose. Pour quelqu’un qui vit des difficultés de sommeil, cette phrase a pu prendre une tournure plus négative dans le genre

« Si une nuit de difficultés de sommeil amène des problèmes de mémoire, je n’imagine pas ce que mes trois dernières semaines engendreront comme difficultés! Chaque nuit, j’ai mis environ 1h à m’endormir! C’est probablement ce qui explique que j’aie oublié plein de trucs importants la semaine dernière! Et si cette foutue insomnie m’amenait à développer la maladie d’Alzheimer? ».

La pensée catastrophique est un phénomène plutôt répandu chez les gens qui ont des difficultés de sommeil et des phrases vagues, peu nuancées et nullement étoffées comme celle écrite plus haut n’aident certainement pas leur cause. Ce type de phrase en vient à créer une anxiété de performance. En effet, s’en suit généralement des phrases telles que :

« Je dois bien dormir si je veux être en mesure de mener la réunion de demain et me souvenir des points abordés! Il faut que je dorme! ».

 
Deuxièmement, je serais tentée de jouer l’avocate du diable et de vous demander s’il vous arrive d’avoir des trous de mémoire alors que vous avez bien dormi. De la même manière, vous est-il déjà arrivé d’avoir une nuit difficile et de vous surprendre à dévouer des ressources attentionnelles puisées dans votre fort intérieur et d’offrir des performances de mémoire, ma foi, tout à fait louables? Voyez que la réflexion qui émane de ce questionnement est légèrement plus nuancée, n’est-ce pas? Tout n’est jamais noir ou blanc, surtout lorsqu’on parle de sommeil! Et la nuance permet une souplesse et, par le fait même, elle aide à diminuer l’anxiété.

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Et si on vous donnait le mandat de tester si cette affirmation se tient.

D’abord, il serait légitime de se poser la question suivante : « Qu’entend-on par problèmes attentionnels et de mémoire? ». Une définition aussi vague que le suggère l’énoncé plus haut vous amènera un problème de mesure. Comment savoir si vous testez la bonne chose si vous n’êtes pas certains de ce que vous mesurez! Parle-t-on d’une incapacité à exécuter les tâches quotidiennes ou parle-t-on de performance à des tâches de laboratoires complexes et peu représentatives de ce que les gens font dans la vie de tous les jours?
Posé autrement, nous pourrions également vous demander de produire des difficultés attentionnelles et de mémoire chez un échantillon de 50 personnes en les faisant dormir 6h par nuit. Comment vous y prendriez-vous? Quelle serait la recette si on inversait le problème de cette façon? Pendant combien de nuits les feriez-vous dormir 6h pour avoir l’effet escompté? N’y aurait-il pas des différences importantes et dignes de mention entre la participante 14 qui a un besoin de sommeil habituel de 8h par nuit et le participant 22 pour qui une nuit de 6h est grandement satisfaisante. Autre chose… Comment feriez-vous pour considérer les différences possibles entre la participante 25 dont le travail est manuel et routinier et la participante 42 dont les tâches professionnelles impliquent la gestion d’une équipe de travailleurs et qui est habituée de jongler avec plusieurs tâches en même temps?

 
Je pourrais continuer longtemps ainsi. Pourquoi? Parce que la recherche sur les humains, peu importe le thème, est très complexe. C’est pourquoi il vaut la peine de s’arrêter, de se questionner et de nuancer ce qui nous est fourni comme information. J’ajouterais quelques questions globales qu’il peut être pertinent de se poser lorsque vous tombez sur une information au sujet du sommeil:

 
– D’où vient l’information? Est-ce une étude solide provenant d’un établissement universitaire reconnu ou est-ce un cas anecdotique de votre tante Georgette qui connaît tout sur le sommeil? Déjà, si le texte que vous lisez dans votre magazine de madame ne cite pas d’où ils tirent les informations, vous êtes en droit de vous questionnez sur la validité de ce qui est apporté! Il faut des sources! Des bonnes!

 
– Comment a été cueillie cette information? A-t-on utilisé des instruments ciblant plusieurs types de variables (questionnaires, entrevues mais également des mesures moins sujettes à des biais comme des enregistrements physiologiques).

 
– Y a-t-il plusieurs études qui supportent cette affirmation? S’il y a bien une chose à retenir avec la recherche et ce, peu importe le sujet, c’est qu’il doit y avoir convergence des informations pour tirer une conclusion valide. En langage clair, non pas une mais plusieurs études solides doivent avoir mené à des résultats semblables avant de pouvoir statuer sur le fait qu’une affirmation soit vraie.

 
En bref, le message que je tente de passer n’est pas de ne pas considérer du tout les éléments qui ressortent dans les diverses lectures que vous faites sur le sommeil, mais simplement d’être prudents et d’éviter de faire un traitement rigide de cette information.
En espérant vous avoir donné quelques pistes pour développer votre regard critique sur le sommeil, je vous souhaite une très bonne nuit!

 
Dre Emmanuelle Bastille-Denis, Ph.D.
Psychologue et fondatrice du Centre de traitement de l’insomnie

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