Quand dormir à deux devient source d’insomnie

Partager son lit avec une autre personne est sans contredit l’une des activités les plus intimes qu’il nous est donnée de faire comme être humain. Et quand je dis intime, je ne fais même pas référence à la sexualité! Je parle simplement de l’activité de dormir. Il n’est donc pas étonnant que cette activité puisse générer du stress chez certaines personnes! La stratégie qui est alors priorisée chez ces gens : faire chambre à part. Est-ce souhaitable? Est-ce une stratégie efficace à court, moyen, long terme? Ce texte vous permettra d’alimenter votre réflexion à ce sujet. Mais d’abord, permettez-moi de vous donner une idée du type de personne qui opte pour cette stratégie. En fait, dans ma pratique clinique, j’observe* deux catégories de gens qui en viennent à faire chambre à part parce que le fait de dormir à deux devient anxiogène : les embarrassés et les hypersensibles.

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Les embarrassés

Quand on y pense, dormir demande une capacité à lâcher prise sur notre environnement, à abandonner le contrôle que nous avons l’habitude d’avoir en état d’éveil et à laisser notre corps faire son travail. Pour certains, dormir est synonyme de ronflements, de postures inhabituelles, de gestes incontrôlés, de paroles inintelligibles. Il n’est donc pas rare que j’entende des gens dire qu’ils sont embarrassés à l’idée que leur partenaire de lit soit témoin d’une variété d’agissements étranges ou de phénomènes qu’ils contrôlent normalement bien à l’état d’éveil. Ces gens craignent un jugement négatif de la part de leur partenaire de lit.

Pendant la période précédant l’endormissement, ces gens s’auto-analysent, appréhendent de plonger dans le sommeil et en viennent  à se créer une pression qui elle, produit de l’activation. Et comme vous le savez, l’activation nuit considérablement au processus même de l’endormissement.  La peur de ne pas dormir et d’être affecté par le manque de sommeil la journée suivante s’ajoutent souvent au portrait.  Pour cette catégorie de gens, l’anxiété est au premier plan.

Certaines de ces personnes redoutent de dormir avec un partenaire de lit pour une première fois, puis, avec l’habitude, en viennent à apprivoiser cette situation. Pour d’autres, cette peur peut perdurer dans le temps si bien qu’il leur est difficile de partager le lit ou même la chambre à coucher avec une autre personne.

Les hypersensibles

Outre la gêne, on retrouve également une catégorie de gens qui, souffrant d’insomnie, sont devenus hypersensibles à toute stimulation qui pourrait brimer leur précieux sommeil. Que ce soit un mouvement, un bruit, un changement dans le rythme de la respiration ou encore, la seule présence de leur partenaire dans le lit, leur sommeil s’en trouve expressément affecté. Adeptes des bouchons, ces personnes en viennent à cultiver l’idée que, pour que le sommeil survienne, elles doivent avoir les conditions parfaites. Or, les conditions parfaites sont souvent difficilement atteignables. Dans leur cas, la frustration devient malheureusement souvent un élément central du portrait: ces gens deviennent exigeants et certains s’attendent à ce que le reste de la famille soit très attentif à instaurer les conditions gagnantes pour qu’ils parviennent à dormir. Des conflits peuvent émerger voyant que leurs attentes ne sont pas comblées, surtout avec le partenaire de lit qui se retrouve souvent au cœur du problème. Ce dernier peut se retrouver assailli par les demandes particulières visant à rendre le sommeil plus aisé chez la personne en question.

À vouloir contrôler l’environnement comme ils le font, les gens de cette catégorie se retrouvent malheureusement à faire le contraire de ce que leur demandent le corps et l’esprit pour arriver au sommeil : laisser aller le contrôle.

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Faire chambre à part : la solution?

Comme vous l’avez probablement décelé, la peur de perdre le contrôle est au centre des préoccupations de ces deux sous-groupes. L’un craint de perdre le contrôle sur lui-même et que le partenaire de lit s’en rende compte alors que l’autre craint de ne pas pouvoir contrôler des éléments externes qui pourraient nuire à son sommeil. Étant habitués à prendre les rênes pour solutionner les impasses, ces personnes en viennent naturellement à vouloir reprendre le contrôle de la situation et opter pour la chambre d’amis ou celle du plus vieux qui est parti à l’université. Tandis que pour certains cette avenue s’inscrit dans un plan de survie de dernier recours (ils changent de chambre uniquement lors des nuits difficiles mais dorment avec leur partenaire le reste du temps), cette pratique est devenue monnaie courante pour d’autres.

Avant de se demander si cette pratique est adéquate, il convient de se questionner sur la raison de son efficacité. En bref : pourquoi dormir ailleurs amène certaines personnes à retrouver le sommeil facilement?

D’abord, il y a une question d’associations. Notre cerveau crée très rapidement des associations. Ainsi, si vous mangez un hot dog dans une soirée entre amis et que vous souffrez d’une forte indigestion la nuit suivante, il se peut fort bien que vous laissiez ce grand classique de la gastronomie de côté pour quelques mois! En effet, votre cerveau aura probablement fait l’équation suivante : hot dog = malaises gastro-intestinaux = on ne veut pas ça! Ici, il est question d’un conditionnement rapide. La plupart du temps, votre cerveau a besoin que la situation se répète quelques fois avant de produire une association.

Dans le cas qui nous concerne, il n’est pas rare que ce soit l’équation suivante qui prédomine : chambre à coucher incluant la présence du partenaire = insomnie + frustration + anxiété.  Ainsi, en se dirigeant vers une autre chambre, le cerveau perd ses repères habituellement associés à l’éveil, puisque le nouvel environnement de sommeil est neutre. Qui plus est, le seul fait de couper le cercle vicieux où opèrent différentes associations négatives avec le sommeil en quittant la chambre, est en soi aidant. C’est comme si on mettait un gros STOP au cerveau qui baigne dans un mixte de pensées négatives («Je dois dormir», «Pourquoi mon mari n’a pas attendu que je dorme avant de venir se coucher! Il le fait exprès!»), d’émotions déplaisantes (frustration/anxiété) et comportements non compatibles avec le sommeil (tourner et retourner dans son lit à la recherche de la position parfaite).  Donc si je résume : le lieu où vous vous dirigez est important, mais l’action de se déplacer vers un autre lieu et de casser le cycle l’est encore plus! C’est un mixte de ces deux éléments qui explique l’efficacité de cette stratégie.

Une stratégie à prioriser?

Si vous avez une entente avec votre conjoint/e et que le fait de faire chambre à part vous convient à tous les deux, il n’y a aucun problème à fonctionner de la sorte. Vous le savez comme moi, le concept de couple a beaucoup évolué dans les dernières années. Il n’y a donc plus de modèle préconçu de ce que devrait faire un couple pour avoir une relation épanouie.  Le partage du lit conjugal est donc une notion à discuter. L’important est que cette pratique soit satisfaisante pour les deux membres du couple et qu’elle ne génère pas de frustration.

En contrepartie, il m’est souvent donné de rencontrer des gens qui utilisent la stratégie de faire chambre à part en dépit de leur désir de dormir avec l’être aimé. Houston, c’est là que nous avons un problème!  Ces gens aimeraient être capables de dormir avec leur conjoint ou leur conjointe, mais n’y arrivent tout simplement pas. Dans d’autres cas, les gens sont tout à fait à l’aise avec le fait de dormir dans la chambre d’amis, mais c’est leur partenaire qui en souffre.

En traitement, la première chose à faire est de ne pas dramatiser. Comme toute stratégie, le fait de faire chambre à part peut être une excellente chose si utilisée au besoin, de façon souple.  Lorsqu’utilisée de façon rigide, systématique et comme seule et unique façon de gérer l’insomnie, c’est là que débutent les problèmes.

Si tel est votre cas, pas de panique! Rappelez-vous que l’ingrédient responsable de l’efficacité de la technique est un conditionnement par associations. En d’autres mots, il s’agit d’un apprentissage. Qui dit apprentissage, dit possibilité de désapprendre également. En effet, il est possible d’apprendre comment renverser les associations «lit et partenaire = insomnie« et «lit de la chambre d’amis = sommeil» pour revenir à une association saine «lit conjugal = sommeil». La première étape est de s’exposer graduellement à la reprise du sommeil à deux en cherchant à nuancer et dédramatiser les peurs qui surviennent. Bien-sûr, un psychologue peut vous aider dans cette quête!

Sur ce, je vous souhaite un bon sommeil,

Dre Emmanuelle Bastille-Denis, Ph.D.

Psychologue et fondatrice du Centre de traitement de l’insomnie

Dre Emmanuelle Bastille-Denis Ph.D. psychologue

Dre Emmanuelle Bastille-Denis Ph.D. psychologue

*Ce texte est basé sur des observations cliniques et non sur des recherches empiriques.