Notre cerveau : un magazine à potins cheap

Vous savez ces magazines à potins qui vont à la pêche et qui recherchent des nouvelles qui sont susceptibles de capter rapidement l’attention du lecteur? Ces magazines que nous retrouvons dans la file menant à la caisse de notre supermarché. C’est plus fort que nous, n’est-ce pas? Nous plongeons la main dans le présentoir pour y ressortir le magazine dont la page frontale promet le contenu le plus croustillant de l’étagère! Avouez qu’il est divertissant de savoir que [insérez le nom de votre vedette préférée ici] a trompé son conjoint avec [insérez le nom du chanteur le plus en vue du moment ici]. Du moins, c’est ce que la photo laisse croire! Couplez un titre accrocheur mais Ô combien vague à cette photo et ça en est fait : vous voilà à tourner les pages du magazine à la recherche des détails sur cette histoire! Les magazines l’ont bien compris : le contenu qui attire est aussi celui qui sort le lecteur de la neutralité et lui fait vivre des émotions. Est-ce que les rédacteurs et chroniqueurs de ce type de magazine prennent le temps de valider si ce contenu est véridique ou s’il reflète la réalité? Pas vraiment. Plus c’est anecdotique, meilleures sont les chances de vendre! J’ai une bien mauvaise nouvelle pour vous : il arrive que votre cerveau se comporte exactement comme un magazine à potins « cheap » dans son traitement de l’information.

centre traitement insomnie

La base

 

À la base, votre cerveau agit de manière à rechercher l’information en mémoire qui est en lien avec une situation à laquelle il se trouve confronté. On pourrait dire qu’il fonctionne par prototypes. Ce faisant, il se demande s’il existe un patron de réactions qui a déjà été mis en place par le passé pour faire face à une telle situation. En d’autres mots il se demande « Est-ce que j’ai déjà rencontré cette situation? Si oui, comment avais-je réagit et donc, quelle réaction serait à privilégier dans le cas présent? ».

 

Le problème est le suivant : les chances que votre cerveau repêche un prototype neutre ou positif dans votre mémoire pour le faire ressortir à votre esprit sont faibles. Votre cerveau retient les évènements dont la coloration émotive est élevée et c’est exactement ceux-ci qu’il rapportera à votre conscience si vous sollicitez les souvenirs. Il veut du croustillant, de la sensation! Après tout, personne ne veut savoir quand le train arrive à l’heure! Mais, on veut savoir s’il déraille! Malheureusement, votre cerveau veut sensiblement la même chose. Il se comporte comme le magazine à potins dont je vous parlais plus haut. Il laisse de côté de l’information juste au profit de ce qui produira une augmentation des émotions (souvent à coloration négative).

 

Deux exemples

 

Ce mode de fonctionnement pose problème parce qu’il empêche un traitement juste et scientifique des pensées et souvenirs. Par conséquent, il nous entraîne à entrevoir le négatif voir même, le catastrophique. Quoi de mieux que des exemples pour illustrer ce concept!

 

Prenons d’abord le cas de M. Smith qui consulte pour de l’anxiété particulièrement axée sur son sommeil. M. Smith a déjà vécu un épisode d’épuisement qui avait débuté par quelques nuits consécutives où il avait de la difficulté à s’endormir. Cet épisode s’est depuis résorbé. N’empêche que chaque fois que M. Smith éprouve de la difficulté à trouver le sommeil, son cerveau ressort la période difficile qu’il a vécu en mémoire, ce qui augmente l’anxiété. Et on s’en doute, cette anxiété n’aide en rien à son sommeil! Pourquoi son cerveau choisit-il de rapporter cet épisode en mémoire alors que son historique est rempli d’expériences où il a vécu des difficultés d’endormissement sans raison et surtout, sans conséquence? En effet, sur une vie entière, M. Smith a souvent eu des difficultés d’endormissement qui ne se sont absolument pas soldées par un épuisement ou un trouble du sommeil! Parce que oui, ce type de difficultés survient chez tout le monde à un moment où à un autre de sa vie! Qui plus est, les difficultés d’endormissement sont souvent transitoires et sans répercussions graves. Alors pourquoi sur un échantillonnage de 1 expérience négative contre des milliers d’expériences sans conséquence, son cerveau choisi la première? La réponse : parce que son cerveau (comme le vôtre!) agit comme un magazine à potins cheap! Il s’accroche à ce qui suscite des réactions même si ce qu’il propose est très discutable.

 

Prenons également le cas de Mme Smith (oui, je fais preuve d’originalité lorsqu’il s’agit de nommer mes personnages!). Mme Smith rapporte des difficultés de sommeil qui vont et viennent en fonction des périodes de stress. Étant une athlète marathonienne, il lui arrive depuis peu de faire de l’insomnie avant des courses. L’automne dernier, son insomnie a atteint un niveau plus intense juste avant un demi-marathon auquel elle s’était inscrite. En effet, Mme Smith se dit convaincu de ne pas avoir fermé l’œil la nuit précédant la course. La question qui vous brûle probablement les lèvres : alors, comment a été sa course? L’a-t-elle faite? Et bien oui! Non seulement Mme Smith a eu le courage de faire la course, mais celle-ci s’est bien déroulée. Comme je me plais souvent à le dire à mes patients, le corps est bien fait puisqu’il a l’habitude de dévouer des ressources supplémentaires lorsqu’il se retrouve en déficit dans le but de permettre à la personne de faire une tâche qui sort de l’ordinaire. Cet effet compensatoire a donc permis à Mme Smith de faire cet effort physique plus marqué. Est-ce que c’était sa meilleure performance à vie? Non. Mais tout de même! Elle a été capable de mener ce demi-marathon jusqu’au bout ce qui n’est pas rien! Pourtant… pourtant… à quelques semaines d’un autre demi-marathon auquel elle s’est inscrite en juin prochain, Mme Smith se dit actuellement très nerveuse. Elle craint de ne pas dormir encore une fois. Et voilà le traitement de l’information biaisé par l’émotion qui revient à la charge! Le cerveau de Mme Smith se comporte comme le rédacteur en chef d’une revue à potins cheap! Il se rappelle de la portion anxiogène et négative de la dernière course (la nuit blanche) et fait fi des autres paramètres qui se sont bien déroulés (le fait qu’elle ait fait sa course en dépit de la  nuit catastrophique qu’elle a eue!). Son cerveau laisse également de côté toutes les autres courses qu’elle a faites et où elle avait tout de même bien dormi la nuit précédente. Le cerveau s’accroche donc à une seule expérience négative pour tirer des conclusions sur le prochain évènement semblable à venir.

 

Alors, quoi faire?

 

Il convient donc de déjouer ce traitement de l’information biaisé par l’émotion en ramenant du rationnel dans tout ça. Comment? En vous questionnant et en cherchant à traiter les données de manière scientifique. En prenant un temps d’arrêt et de recul sur la pensée qui a généré de l’anxiété. Parfois, il convient de se demander sur la base de quelles données vous souhaitez tirer votre conclusion. À l’hippodrome, est-ce que vous miseriez vos économies sur le cheval qui a gagné une seule course ou sur celui qui en a gagné des milliers? Lorsque M. Smith retient uniquement la mauvaise expérience d’épuisement qu’il a eu il y a quelques années, c’est un peu comme s’il misait ses REER sur la picouille plutôt que de gager sur le pur-sang qui cumule les victoires. Ainsi, face à une nuit où il éprouve de la difficulté à s’endormir, il mise intérieurement sur la possibilité que cette nuit amènera une conséquence sérieuse comme un épuisement plutôt que de voir qu’une telle nuit a beaucoup plus de chances de mener à… rien du tout (comme ce fut le cas dans une multitude d’expériences passées dans son histoire!).

Emmanuelle Bastille-Denis

Pour reprendre l’image du départ, il importe donc de faire un vrai travail journalistique sur nos pensées plutôt que de laisser notre cerveau devenir le magazine à potins le plus couru de l’étagère de votre caisse d’épicerie!

Dre Emmanuelle Bastille-Denis Ph.D. psychologue

Dre Emmanuelle Bastille-Denis Ph.D. psychologue