Insomnie et cycle menstruel : qu’en dit la recherche?

Côté inconforts, plaintes et difficultés diverses, les menstruations en ont lourd à porter! Il est vrai que cette période du mois apporte son lot d’ajustements et de précautions pour la plupart des femmes. En clinique, je me fais souvent poser la question à savoir s’il existe un lien entre les difficultés de sommeil et le cycle menstruel. Et bien, j’ai décidé de fouiller dans mes livres et de vous revenir avec mes trouvailles! Bonne lecture!

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La base : le cycle menstruel

Pour bien comprendre la suite de l’article, je vous invite à replonger dans votre matière de biologie de secondaire 4! Voici un ptit rappel simplifié du cycle que traversent toutes les femmes chaque mois, et ce, dans la joie et l’allégresse.

Le cycle menstruel débute le premier jour de nos menstruations et dure de 1 à 6 jours. Au 7e jour commence la phase folliculaire ou pré-ovulatoire. On trouve alors une augmentation de la sécrétion de l’œstrogène. Cette hormone sert entre autres à préparer le corps à recevoir les spermatozoïdes. Puis, au 16e jour survient l’ovulation. Un ovule est libéré dans vos trompes de Fallope (en passant, Fallope est le nom de famille du gars qui a fait d’importants travaux ayant permis de comprendre l’appareil génital féminin. Les filles, il convient donc de porter un toast à l’apport considérable de ce médecin à la bonne compréhension de la femme lors de votre prochain souper de filles! Cheers à Fallope et ses trompes!).

Revenons aux choses sérieuses : l’ovule qui se balade dans la trompe. Cette promenade de l’ovule engendre une augmentation de la sécrétion de progestérone. Ceci permet d’enclencher les modifications nécessaires dans votre corps en vue de l’arrivée potentielle d’un embryon. Toutefois, lorsque l’ovule n’est pas fécondé, le taux de progestérone diminue rapidement. L’œstrogène fait de même, ce qui mène, environ 12 jours plus tard, à la période des menstruations.

Ce qui est important à retenir ici est le rôle crucial que prennent deux acteurs principaux dans le cycle menstruel : l’œstrogène et la progestérone. Au niveau du sommeil, c’est la progestérone qui retient le plus notre attention. En effet, cette hormone est connue pour exercer un rôle dans la sécrétion de d’autres hormones qui sont liées aux mécanismes de base du sommeil (GH, prolactine, TSH).

Là, je vous entends d’ici faire des liens dans votre tête et vous dire : «Si les taux de progestérone sont modifiés au cours du cycle menstruel et que cette progestérone a des contacts avec d’autres membres siégeant sur le CNDS (Comité National du Sommeil), il est donc normal et attendu que j’aie des difficultés à ce moment du mois? Je ne suis pas bizarre! J’avais raison de me plaindre! Ce n’est pas que dans ma tête! Attends que je dise ça à mon chum!».

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Lien entre le sommeil et le cycle menstruel

De tout cœur, j’aimerais vous dire qu’un lien clair entre les difficultés de sommeil et le cycle menstruel a été trouvé. Toutefois, il n’existe pas d’évidences d’un lien direct entre les deux phénomènes à ce jour. La chose importante à mentionner  et qui permet de nuancer la déception que mon propos vient de susciter en vous: très peu d’études ont portées sur l’évaluation du lien entre les taux de progestérone et le sommeil mesuré objectivement avec la polysomnographie (technique qui permet une évaluation exempte de biais et qui permet de mesurer la profondeur et l’architecture du sommeil. Bref : la mesure que les chercheurs aiment et qui donne les résultats les plus probants). Qui dit manque d’études, dit manque de données pour se prononcer sur un sujet.  Tout ça pour dire que peut-être que dans un avenir rapproché, les études permettront de mieux étayer cette piste qui demeure prometteuse!

Il n’en demeure pas moins que lorsque questionnées sur leur sommeil dans des études utilisant des mesures auto-rapportées (qui se basent sur l’évaluation subjective que font les femmes de leur condition), les résultats montrent des données intéressantes! (ouf!) En effet, il semble que les femmes se plaignent de difficultés de sommeil au cours de la phase prémenstruelle et les quelques premières journées de la phase menstruelle. Si vous m’avez bien suivie, ces phases correspondent au moment où les taux de progestérones diminuent. S’ajoutent à cela, les douleurs physiques amenées par les fameuses crampes menstruelles. Il n’est donc pas étonnant que le sommeil soit plus difficile à ce moment du mois!

En résumé, il est normal de constater un changement dans son sommeil juste avant la période menstruelle. Certaines connaissances sur les hormones (particulièrement la progestérone) nous indiquent que les difficultés de sommeil que rapportent plusieurs femmes dans les études seraient normales et attendues. Toutefois, des recherches démontrant un lien clair en se basant sur des mesures objectives devront être menées.

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Qu’en est-il du trouble dysphorique prémenstruel?

Il existe une condition qui permet d’apposer une étiquette diagnostique sur le fameux SPM. L’appellation «trouble dysphorique prémenstruel» est alors utilisée (pour que ce soit plus joli à inscrire dans votre dossier médical!). Ce diagnostic est posé lorsque plusieurs symptômes sont présents et sont intimement corrélés avec l’apparition et la disparition des règles. Les voici :

  • Labilité émotionnelle (changements brusques dans vos émotions);
  • Irritabilité marquée, colère ou augmentation des conflits interpersonnels;
  • Humeur dépressive marquée, sentiment de désespoir ou autodépréciation;
  • Anxiété marquée;
  • Diminution de l’intérêt pour les activités habituelles;
  • Difficulté subjective à se concentrer;
  • Léthargie, fatigabilité excessive ou perte d’énergie marquée;
  • Modifications de l’appétit (augmentation);
  • Hypersomnie ou insomnie;
  • Sentiment d’être débordée ou de perdre le contrôle;
  • Symptômes physiques comme : tension ou gonflement des seins, douleurs articulaires ou musculaires, impression d’enfler, prise de poids.

Source : DSM-5

Bien-sûr, plusieurs considérations sont à prendre en compte avant de poser un diagnostic. C’est pourquoi je vous encourage à consulter votre psychologue ou votre médecin pour avoir un avis éclairé sur la question (oui-oui, je vous ai entendu vous auto-diagnostiquer d’ici!)

Au niveau du sommeil, les études montrent que les femmes souffrant d’un syndrome dysphorique prémenstruel ont moins de sommeil profond (là où nous récupérons physiquement) pendant cette phase du cycle. Les chercheurs suggèrent que la prise des anovulants serait une méthode efficace pour diminuer l’impact possible des menstruations sur le sommeil. L’avis de votre médecin est bien-sûr requis afin de voir si cette stratégie pourrait vous convenir.

En conclusion, j’espère que cet article vous aura permis de mieux comprendre ce qui se produit dans votre corps pendant cette joyeuse période du mois!

Sur ce, je vous souhaite un bon sommeil,

Dre Emmanuelle Bastille-Denis Ph.D. psychologue

Dre Emmanuelle Bastille-Denis Ph.D. psychologue

Bibliographie :

Caufriez, A., Leproult, R., L’Hermite-Balériaux, M., Kerkhofs, M. & Copinschi, G. (2011). Progesterone prevents sleep disturbances and modulates GH, TSH, and melatonin secretion in postmenopausal women, The Journal of Clinical Endocrinology & Metabolism, 96: 614-623.

Kryger, M.H., Avidan, A.Y. & Berry, R.B. (2014). Atals of clinical sleep medicine, Elsevier Saunders.