Gestion des pleurs au dodo: que faire?

Ce soir, dans ce match spécial pour remporter le titre du «meilleur parent à l’heure du dodo», s’affrontent…

Dans le coin gauche : le parent qui accoure dès que son bébé pleurniche. Après tout, laisser pleurer un enfant qui a besoin de réconfort relève de la barbarie! Honte aux parents qui n’ont pas à cœur le bien-être affectif de leur enfant!

Dans le coin droit : le parent qui croit que son bébé fait des caprices et qu’il ne doit en aucun cas encourager ses pleurs en se présentant dans la chambre de son tout petit. Le but : en faire un ptit garçon fort et résistant, pas une mauviette! Ce parent le laisse pleurer jusqu’à ce qu’il se fatigue et tombe évanoui (euh je voulais dire endormi).

Qui emportera le titre? Restez avec nous pour le savoir…

toys-1284070_1920

Vous aurez compris le ton humoristique et la caricature de cette introduction où je souhaitais mettre en scène deux positions dont les déclinaisons sont malheureusement trop populaires en ce qui a trait à la gestion des pleurs au dodo chez les enfants. Qui n’a jamais assisté à ce débat épineux entourant cette question tout aussi délicate? On en parle dans les médias et chaque article rédigé à ce sujet divise la foule de manière drastique. Les opinions se polarisent comme sur un arène de lutte! Comme si ce sujet devait être abordé en terme de «tout ou rien» sans considérer la façon dont se sent le parent et quelle est son analyse de la situation. J’ai donc eu le goût d’apporter un peu de douceur et de nuance dans tout ceci. Mon objectif est aussi de fournir de l’information aux parents désireux de considérer certaines options qui s’offrent à eux pour diminuer le comportement de pleurs de leur enfant au coucher.

Dans le cadre de ma pratique clinique, j’accompagne plusieurs nouvelles mamans qui ont des difficultés de sommeil et qui deviennent épuisées. Je remarque que ces mères se mettent une pression énorme pour offrir ce qu’il y a de mieux à leur enfant dans le but de lui assurer un développement optimal. Ces mères ont souvent entendu dire qu’un enfant qui pleure à l’heure du dodo doit être réconforté sur le champ sans quoi elles seront responsables des futurs déraillements psychologiques de leur progéniture. J’observe que plusieurs mères sacrifient des bouts de sommeil pour accourir vers leur enfant qui pleure. Elles en viennent parfois à devenir très fatiguées, ce qui affecte leur humeur la journée suivante. Étant moins enjouées, moins patientes et moins alertes aux interactions diurnes avec leur enfant, ces mères développent un sentiment de culpabilité. «Je devrais être en mesure de profiter de ces moments privilégiés avec mon enfant! Mes amies y arrivent pourtant! Pourquoi ne suis-je pas capable?». Vous voyez le cercle vicieux qui s’installe?

Dans un cas où une mère en viendrait à ressentir des impacts négatifs qui affecteraient sa capacité à prendre soins de son enfant comme elle le souhaite, il existe des stratégies pour apprendre graduellement à l’enfant à se rendormir par lui-même. Parce que oui, les éveils sont attendus et font partie d’une nuit de sommeil normale et ce, autant chez l’adulte que l’enfant. Développer sa capacité à bien les gérer et à devenir autonome dans sa façon de retrouver le sommeil fait partie des compétences que l’enfant peut développer.

baby-1266117_1920

Précautions à prendre et facteurs à considérer avant d’avoir recours à l’une de ces techniques

Le tempérament de l’enfant

Revenons aux deux positions polarisées de notre ring de lutte! Chacune de ces visions est en partie fondée. Oui, il est vrai que certains enfants présentent un tempérament anxieux et ont un plus grand besoin de réassurance. Dans un cas comme celui-ci, il peut être souhaitable de respecter le rythme de l’enfant dans son apprentissage de l’autonomie et de lui fournir le support nécessaire lorsqu’il en manifeste le besoin pendant la nuit.

D’un autre côté, il est également vrai que certains enfants ont créé une association entre l’action de se réveiller en pleurant et le fait d’obtenir de l’attention et des soins de son parent. Dans un cas comme ce dernier, l’une des stratégies que je vous présenterai plus loin pourrait s’appliquer.

En résumé, il faut prendre le tempérament de votre enfant en considération dans votre décision d’appliquer les stratégies.

L a durée et la fréquence du comportement de pleurs au coucher ou au réveil

Les stratégies que je vous présenterai ne devraient pas être priorisées si votre enfant présente un comportement de pleurs de façon isolée et sporadique. Ceci pourrait être un signe de problème sous-jacent.

Aussi, il est connu qu’un enfant passe à travers une phase où il craint particulièrement la séparation. À ce moment, il prend conscience qu’il est un être à part entière, distinct de sa mère et vit alors de la détresse lorsqu’il en est séparé. La bonne nouvelle? Cette phase est transitoire et finira par passer. Si vous soupçonner votre enfant d’avoir fait son entrée dans cette période, il pourrait être souhaitable de lui fournir du support lors des pleurs au coucher ou pendant la nuit.

Par ailleurs, si votre enfant dormait bien et qu’il éprouve soudainement des difficultés à s’endormir et se rendormir depuis quelques semaines, une technique comme celles que je vous présenterai pourrait s’appliquer.

Éliminer les causes physiologiques

Il est important de consulter le médecin pour exclure des possibles causes physiologiques. Un petit rappel des raisons médicales qui peuvent engendrer des pleurs au coucher pour un bébé :

  • Une poussée de dents
  • Les reflux
  • Une infection ou un problème fréquemment rencontré chez les bébés : irritation du fessier, infection des voix respiratoires, infections des oreilles
  • Allergies alimentaires
  • Eczéma
Discuter avec votre partenaire

Il est primordial de s’assurer que vous êtes sur la même longueur d’onde que votre partenaire. Les techniques que je souhaite vous présenter impliqueront de tolérer un certain inconfort de façon temporaire. La cohérence est de mise pour les deux membres du couple! Vous devez avoir discuté ensemble au préalable et vous assurez que vous souhaitez appliquer la technique de la même façon.

Une discussion et une analyse de la situation avec votre partenaire revêt une importance particulière pour faire face aux possibles préjugés auxquels vous pourriez être confrontés si vous décidiez d’appliquer l’une de ces techniques. Même si certains parents s’entraident et font preuve de bienveillance et de compréhension face à la façon dont les autres parents interviennent avec leurs enfants, il existe une pression de performance malsaine dans cette communauté. Je soupçonne les réseaux sociaux et les médias de véhiculer certaines idées qui n’aident en rien à la cause. Rappelez-vous que personne ne connait mieux votre enfant que vous. Vous l’avez tricoté donc vous êtes les experts! Je vous encourage toutefois à développer votre curiosité face aux différentes options qui se présentent à vous afin de faire preuve de sens critique. Ainsi, vous serez outillés pour faire un choix éclairé en fonction de ce qui s’applique le mieux à votre situation et à votre enfant.

L’âge de votre enfant

Ces techniques peuvent être considérées dans le cas d’un enfant de 6 mois et plus seulement.

Identifier les bénéfices

Avant de vous lancer dans cette entreprise, il peut être bien de faire une liste des raisons qui soutiennent votre volonté de mettre un terme au comportement de pleurs de votre enfant. En gardant les bénéfices envisagés en tête lors de l’application des stratégies, vous pourrez conserver votre motivation et le focus!

  • Faire en sortes que l’heure du coucher soit plus plaisante pour tous les membres de la famille.
  • Préparer votre enfant à la garderie où il aura à s’endormir par lui-même lors des siestes.
  • Obtenir plus de sommeil.
  • Avoir plus de temps pour récupérer de votre journée de travail, préparer la journée du lendemain, finir les tâches dans la maison, etc.
  • Passer plus de temps avec les enfants plus vieux qui peuvent se coucher plus tard.
  • Passer du temps de qualité avec votre conjoint/e.
  • Prendre du temps pour vous.
  • Rétablir votre santé mentale parce que vous vous sentez de plus en plus fatigués.

Important :   Faites attention à ne pas tomber dans l’autocritique et la culpabilité face à certains bénéfices que vous identifierez. Résistez à l’envie de vous sentir égoïste!

Les stratégies

Procédure d’extinction standard

Cette technique consiste à établir une routine avant le coucher avec l’enfant, puis, le placer dans sa couchette alors qu’il est encore éveillé. Le parent est ensuite invité à quitter la chambre et à laisser son enfant trouver le sommeil. Le parent est encouragé à ne pas retourner dans la chambre de l’enfant s’il pleure, à moins qu’il soupçonne un risque pour sa sécurité.

Cette procédure implique deux sous-catégories

  1. L’endormissement seulement. Le parent fonctionne tel que mentionné précédemment pour l’endormissement seulement. C’est donc dire que si l’enfant se réveille la nuit, il pourra lui fournir le réconfort jugé nécessaire. Il est attendu que l’enfant généralise la capacité à s’endormir par lui-même aux éveils nocturnes après environ 2 à 3 semaines (Meltzer & McLaughlin Crabtree, 2015).
  2. L’endormissement et les éveils. Le parent laisse l’enfant initier son sommeil par lui-même tout comme il le laisse retrouver le sommeil après un éveil nocturne.
Procédure d’extinction graduée

Tout comme la technique précédente, celle-ci consiste à établir une routine avant le coucher pour sécuriser l’enfant, puis, à l’installer dans sa couchette alors qu’il est encore éveillé. Assoyez-vous dans une chaise que vous placerez près du lit de l’enfant. Le but étant d’assurer une présence bienveillante à l’enfant jusqu’à l’endormissement sans pour autant renforcer les pleurs et demandes de réassurance. Après quelques jours, déplacez votre chaise près de la porte. Puis, après quelques jours, placez votre chaise sur le pas de la porte à l’extérieur de la chambre.

La célèbre méthode 5-10-15

Cette technique vise à augmenter graduellement le délai avant de venir réconforter l’enfant qui pleure.

À retenir

La technique doit être vue comme un investissement. Elle provoque de l’inconfort à court terme mais des bénéfices à moyen terme.

Il est normal de voir une recrudescence des pleurs à la 2e et la 3e nuit d’application des stratégies. Les manifestations devraient diminuer les nuits suivantes.

Est-ce nécessaire d’ouvrir un compte épargne pour les futurs frais de psychothérapie de votre enfant si vous appliquez l’une de ces techniques? L’état des connaissances actuelles ne nous permet pas de croire à un impact négatif à moyen ou long terme sur le plan affectif. En effet, plusieurs études ont porté sur cette question et ont suivi des cohortes d’enfants qui avaient ou non vécu les techniques d’extinction. En fonction des résultats de ces études, rien n’indique que les enfants dont les parents avaient utilisé les méthodes d’extinction avaient plus de problèmes que ceux où elles n’avaient pas été utilisées (Hiscock, Bayer, Hampton, Ukoumunne, & Wake 2008; Lam, Hiscock, & Wake, 2003; Price, Wake, Ukoumunne, & Hiscock, 2012).

Vous voyez bien les bénéfices possibles sur VOTRE sommeil mais avez l’impression que le sommeil de votre héritier pourrait en souffrir? Une récente méta-analyse a montré que ces techniques diminuaient la latence d’endormissement et le nombre d’éveils chez les enfants avec qui on les appliquait (Meltzer & Mindell, 2014). En résumé, ce genre de stratégie pourrait avoir un impact positif sur le sommeil de plusieurs membres de la famille à la fois.

Conclusion

Le plus important à retenir ici est que l’application d’une stratégie ou d’une autre est une décision très personnelle. Ainsi, si votre enfant présente des difficultés importantes à l’heure du coucher et que cet article vous a rendu mal à l’aise, je vous suggère fortement d’écouter ce sentiment et de vous respecter. Si l’idée de vous relever pour réconforter votre enfant lors de ses difficultés à trouver ou retrouver le sommeil vous convient, vous devez continuer de fonctionner ainsi et être en paix avec vos agissements. Pour les autres parents qui se seraient sentis interpelés par ces techniques mais qui se jugeaient de considérer laisser leur enfant pleurer, j’espère sincèrement que cet article vous aura permis de vous conforter dans votre intuition et de diminuer la culpabilité.

Sur ce, à toute la famille, un bon sommeil!

Dre Emmanuelle Bastille-Denis, psychologue

Bibliographie

Hiscock, H., Bayer, J. K., Hampton, A., Ukoumunne, O. C., & Wake, M. (2008). Long-term mother and child mental health effects of a population-based infant sleep intervention: cluster-randomized, controlled trial. Pediatrics, 122, 621-627.

Lam, P., Hiscock, H., & Wake, M. (2003). Outcomes of infant sleep problems: a longitudinal study of sleep, behavior, and maternal well-being. Pediatrics, 111, 203-207.

Meltzer, L. J., & Mindell, J. A. (2014). Systematic review and meta-analysis of behavioral interventions for pediatric insomnia. Journal of Pediatric Psychology, 39, 932-948.

Meltzer, L. J., & McLaughlin Crabtree, V. (2015). Pediatric sleep problems. A clinician’s guide to behavioral interventions. American Psychological Association: Washington, DC.

Price, A. M., Wake, M., Ukoumunne, O. C., & Hiscock, H. (2012). Five-year follow-up of harms and benefits of behavioral infant sleep intervention: randomized trial. Pediatrics, 130, 643-651.